Intimité et sexualité

Théâtre : les mots pour dire l'inceste

Avec "Ce n’était qu’un jeu", Thomas Prédour brise le silence de l’inceste dans un spectacle poignant, mêlant témoignages de victimes et chemin de résilience.

Publié le: 18 septembre 2025

Mis à jour le: 18 septembre 2025

Par: Sandrine Cosentino

4 min

Spectacle ce n'etait qu'un jeu

Photo: ©Live Moments

Près de 30 ans après les faits, Thomas Prédour ressent un besoin irrépressible : mettre des mots sur l'indicible. Enfant victime d'inceste, il s’engage dans une quête pour comprendre le traumatisme vécu et ses répercussions. Acteur, auteur et metteur en scène, il multiplie les rencontres humaines et littéraires. De ce cheminement nait un spectacle, conçu pour encourager d’autres à libérer leur parole. "Ce n'était qu'un jeu" compose une oeuvre chorale où de nombreuses voix s'entremêlent avec celle de Thomas.

Oublier pour ne pas vaciller

"Le véritable interdit ou tabou de l’inceste, ça n’est pas de le commettre, puisque ça arrive partout, tout le temps, mais c’est d’en parler", déclare Dorothée Dussy dans son essai "Le berceau des dominations". Thomas en est bien conscient. À 21 ans, il apprend qu'un autre enfant a été victime de son agresseur. Il aurait pu confirmer ce témoignage en révélant son propre secret mais il n'était pas prêt à franchir cette étape. Une amie l'encourage à témoigner, il doute, il ne veut pas blesser. "L'oubli de grâce", implore-t-il sur scène. Pourtant, se reconnaitre victime est déjà un pas vers la réparation. Mais lorsqu'une victime parle, est-elle écoutée, crue ? Et cette question revient toujours : "Pourquoi n'avoir rien dit?"

En 2021, Ornella, 17 ans, se suicide sans avoir révélé à ses parents les abus sexuels perpétrés par un proche. Une amie finit par témoigner et un procès a lieu. Le juge acquittera l'agresseur présumé, s’étonnant qu'Ornella ne se soit pas confiée à ses parents. Sur scène, Thomas s'indigne : "Il y a pourtant plein de livres qui expliquent pourquoi on ne peut pas parler. À quoi servent les livres si on ne les lit pas?

Les raisons du silence sont bien identifiées : peur, honte, loyauté familiale, crainte de perdre l'amour des siens ou de faire éclater l'équilibre familial... Dans le podcast "Ou peut-être une nuit" réalisé par Charlotte Pudlowski, sa mère lui confie : "Je n'ai rien dit la première fois. Quand l'abus a recommencé, cette absence de réaction m’a semblé donner à l’autre le droit de continuer."

Ne plus se cacher 

Sur scène, Thomas est accompagné par la musicienne Véronique Delmelle. Les sonorités du saxophone et du violon soutiennent les émotions et les messages. Une discussion avec l'acteur est également proposée après chaque représentation. 

La scénographie, volontairement épurée, permet de jouer le spectacle partout et de recentrer l'attention sur l'essentiel : les confidences de l'acteur. Le jeu de lumières guide le récit, de l’ombre de l’abus vers la lumière de la résilience, pour ne plus cacher la vérité. 

Une exposition prolonge la réflexion. Elle invite à se plonger dans l'enfance de Thomas, à découvrir les livres ayant inspiré la pièce mais aussi à s'informer sur la prise en charge de l’inceste.

La loi, des chiffres

Depuis la réforme du code pénal sexuel en juin 2022 en Belgique, l'inceste est reconnu comme une infraction aggravée. La loi qualifie toute violence sexuelle sur un ou une mineure commise par un parent ou un proche. Aucun consentement n'est possible dans ce contexte. 

Selon la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) en France, un enfant sur dix subi l'inceste. Les violences sexuelles incestueuses débutent tôt, 7 ans et demi en moyenne. Dans 97 % des cas, l'agresseur est un homme. Il n'existe toujours pas de chiffres officiels concernant les actes incestueux en Belgique. 

Rapport de la Ciivise et enquête sur ciivise.fr