Prévention

Traumas : un séisme pour le cerveau

Un événement traumatique plonge le cerveau en mode survie, fragilisant le corps et l’esprit. La meilleure compréhension de ces mécanismes offre l'espoir d'une réparation.

Publié le: 22 septembre 2025

Mis à jour le: 22 septembre 2025

Par: Clotilde de Gastines

8 min

Image d'une femme debout dont le visage est flouté comme si elle vivait un séisme

Photo: © AdobeStock

Dans les années 80, les avancées en matière d’imagerie neurocérébrale ont permis de mettre lumière les circuits de défense du cerveau et montré qu’un trauma peut engendrer des blessures psychiques profondes et durables. Longtemps cantonné à la guerre, aux catastrophes naturelles, le champ du traumatisme s’est depuis élargi aux accidents, au deuil soudain, à l’exil et aux violences physiques et sexuelles. À ce titre, les mouvements #MeToo et en particulier #MeTooInceste ont ravivé l’intérêt pour les ressorts de ce qu’on appelle désormais le psychotraumatisme. 

"Un trauma provoque des atteintes majeures au cerveau, comme une fracture interne qui affecte notre système de régulation de la peur et de la mémoire, détruit des neurones, modifie les comportements et mine la santé physique et mentale à long terme si la personne n’est pas soignée et mise en sécurité", souligne la psychiatre française Muriel Salmona, qui travaille sans relâche depuis 30 ans pour décrypter ces processus neurobiologiques. 

Les découvertes sur le cerveau permettent déjà aux psychiatres et aux psychologues d’accompagner les victimes pour éviter que les troubles perdurent sur des semaines voire des années après le(s) événement(s). Mais l’enjeu majeur reste de repérer les victimes qui parfois s’ignorent, ou dont la mémoire a été brouillée par le choc

Alarme, surchauffe et disjonction 

Un traumatisme provoque des changements durables dans deux régions du cerveau : le système limbique et le cortex préfrontal. "Si notre cerveau était une voiture, le système limbique serait notre accélérateur car c’est le siège de l'angoisse, des peurs primaires, des pulsions et de la violence, tandis que le cortex préfrontal, celui de la conscience, du langage et de la compréhension, de l’ordonnance et de la récupération des souvenirs ferait office de frein", décrit le Pr Cyril Tarquinio, psychologue et professeur à l’Université de Lorraine. Un trauma va rompre ce savant équilibre en provoquant "un véritable séisme". 

En temps normal, nos 5 sens perçoivent des informations sur notre environnement, et le thalamus les filtre et les transmet au cortex préfrontal (ou orbito-frontal). En cas de danger ou de menace, y compris pendant notre sommeil ou sous anesthésie, le thalamus alerte le système limbique, qui a la capacité de réagir dans un délai très court grâce à son système d'alarme : l'amygdale cérébrale. Celle-ci entre en action sans attendre et ordonne à l’organisme de sécréter de l'adrénaline et du cortisol pour préparer le corps à se défendre. 

"Un événement terrorisant provoque un sentiment d’impuissance, de détresse et de non-sens. Le cortex préfrontal tombe en panne : c’est la sidération", explique la Dre Salmona. L'amygdale continue de monter en puissance, le cortisol et l’adrénaline inondent le corps et le cerveau. Ce surrégime créé un risque vital pour le cœur (infarctus) et le cerveau (le cortisol détruit massivement les neurones). 

Pour sauvegarder le système, le cerveau disjoncte comme un circuit électrique en survoltage — on parle alors de dissociation traumatique. Cette réaction, involontaire et ponctuelle, permet à la personne de se couper — au moins en partie — de la réalité de ce qu’elle vit, altérant sa perception des lieux, du temps, des personnes, de l’action. 

"Ce mécanisme est encore mal connu. Certains chercheurs identifient un complexe de molécules similaire à la kétamine ou à la morphine, qui anesthésie les émotions et la douleur aussi longtemps que nécessaire" ajoute la psychiatre. Ainsi, tant que la victime est en danger ou au contact de son agresseur, elle fonctionne comme en pilote automatique. L’état dissociatif perdure, ce qui peut expliquer des comportements de survie qui, vus de l’extérieur, peuvent paraître déroutants ou contre-intuitifs.

Dissociées et silenciées 

"Le trauma va scinder le système limbique du cortex préfrontal, précise le Pr Tarquinio. Il perd en densité et en plasticité, et donc en capacité à créer de nouveaux réseaux de mémoire et de nouvelles connexions neuronales". Chez les jeunes enfants victimes de violences intrafamiliales ou d’inceste par exemple, le cortex préfrontal ne se développe pas comme il le devrait à partir de l'âge de 3 et 4 ans, les rendant incapables de réguler leurs émotions. 

Les aires du langage étant atteintes, la personne éprouve de très grandes difficultés — quand ce n’est pas tout simplement impossible — à parler de ce qui lui est arrivé, et donc à demander de l'aide. La victime est réduite au silence (en particulier dans l'inceste). Seule une thérapie adaptée peut renouer ces connexions, non sans difficulté. Car au cœur du système limbique, comme la boîte noire d’un avion, l’hippocampe a enregistré les faits de manière anarchique, sans chronologie, début ni fin, pour pouvoir déclencher une réaction de défense immédiate si ce danger se représente un jour.

Le rire sardonique des terroristes 

La mémoire traumatique peut ainsi coloniser le cerveau avec des images et des sensations liées aux violences subies. "Dès que la victime n'est plus dissociée,a mémoire traumatique se réveille, décrit la Dre Salmona. La souffrance devient intemporelle et permanente, réactivée par le simple fait d’entendre une voix, de sentir une odeur ou de retourner dans un lieu lié au trauma. Débordés par les émotions, les personnes vont revivre la situation avec la même intensité." 

L’hippocampe joue un rôle majeur dans cette réactivation, exposant les victimes à une double peine : les souvenirs fragmentés favorisent la surgénéralisation du traumatisme. Tout se mélange : les peurs, les mots ou la rage de l'agresseur. "Un patient, victime d’un attentat terroriste en France a pensé qu’il sombrait dans la folie, le jour des attentats de Bruxelles, car il avait éclaté d’un rire sardonique en entendant le flash info", relate la psychiatre. Ce rire était celui des terroristes que son hippocampe avait enregistré de manière anarchique. Réaliser que ce rire ne lui appartient pas, permet à la victime de sortir l’élément du système limbique, de le "déminer" et de le ranger dans le cortex préfrontal.

Le risque de répétition 

"À cause des pensées intrusives et déstructurées qui saturent l’hippocampe, les victimes ont l'impression, intolérable, qu'elles doivent lutter contre elles-mêmes. Certaines se suicident, d'autres ont peur de reproduire la violence dont elles ont été victimes", précise la psychiatre. 

Les victimes vont donc avoir deux stratégies principales : l'évitement (contrôle, isolement, hypervigilance et développement des troubles obsessionnels compulsifs) ou la dissociation permanente (mise en danger, agression de soi-même ou des autres, consommation excessive d'alcool et de drogue, troubles du comportement alimentaire, conduites à risque sexuel), ce qui complique le diagnostic. 

Quand ce type de conduites dissociantes s'installent, les conséquences pour la santé sont colossales car elles ajoutent de nouveaux traumas au traumatisme initial. "Ce n'est pas une fatalité. Si on arrive à protéger les survivants de traumatisme et à leur proposer une thérapie, il devient possible de sortir ces souvenirs de l’hippocampe pour les classer dans le cortex préfrontal, de régénérer les neurones en s’appuyant sur la neuroplasticité du cerveau", rassure la Dre Muriel Salmona. 

Le traumatisme pose un problème de santé publique, notamment parce qu’il empêche de sortir du cycle de la violence. La spécialiste hollandaise Miranda Olff faisait le point sur 15 ans de recherches internationales sur le psychotrauma avec ces mots : "Pour traiter les traumas, il faut surtout que le système de soins et la société tout entière soit informés des formes que prennent les psychotraumatismes et des défis globaux qu’ils posent pour la société."

Demander de l’aide

Les hôpitaux ont des services dédiés au trauma psychique et à la prise en charge des violences sexuelles (CPVS) 

Pour toute urgence psychologique : 

Centre de prévention du suicide  : 0800 32 123 (gratuit) 

Télé-accueil : 107 (gratuit) 

L’asbl Brise le Silence est une association dédiée à l'aide aux victimes de violences sexuelles : briselesilence.be

Des ouvrages de référence pour aller plus loin :

- Quand on te fait du mal. Le traumatisme expliqué aux enfants de 8 à 13 ans : un fascicule illustré par l’auteur jeunesse Claude Ponti.

- Traité Clinique de Psychotraumatisme – de la recherche à la pratique contemporaine, sous la direction de Cyril Tarquinio – Dunod 2025

- le livret édité par La Maison des femmes Marseille Provence et illustré par Sonya Robine, explique en termes simples et clairs le psychotraumatisme, ses symptômes et le soin.

- The impact of trauma and how to intervene: a narrative review of psychotraumatology over the past 15 years (Février 2025) Miranda Olff & al.

- Enrayer la fabrique des agresseurs sexuels, Dre Muriel Salmona, Dunod 2025