Incapacité de travail
Selon une étude britannique, 59% des femmes entre 45 et 55 ans présentant des symptômes de ménopause reconnaissent que cela a un impact négatif sur leur travail. La plupart n'en font toutefois pas état et tentent de s'en accommoder en silence, perpétuant le tabou. Des solutions existent pourtant, mais il faut les mettre en place.
Publié le: 21 mars 2022
Par: Aurelia Jane Lee
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Photo: © iStock
Bouffées de chaleur, fatigue, irritabilité, stress… Les symptômes de la ménopause varient d'une femme à l'autre et leur impact au quotidien peut être difficile à évaluer. Les femmes n'ont parfois pas conscience elles-mêmes de la façon dont ils sont liés entre eux. Anne (non d'emprunt), par exemple, s'estime heureuse de ne souffrir de bouffées de chaleur que la nuit : elle ne se sent pas gênée, a priori, dans son travail. Pourtant, la qualité de son sommeil a diminué, entraînant une fatigue insidieuse qui joue sur sa faculté de concentration. Elle réalise en en parlant que les répercussions de ses insomnies sur sa capacité de travail, bien qu'indirectes, sont réelles.
Anne est loin d'être la seule femme à souffrir des conséquences de la ménopause dans sa vie professionnelle. Le sujet est pourtant peu abordé sur les lieux de travail, regrette Lode Godderis, directeur général du groupe Idewe (service pour la prévention et la protection au travail) : "Les femmes considèrent que cela relève de leur vie privée. Elles en parlent généralement peu, et certainement pas avec leur chef d'équipe, surtout si c'est un homme. Elles ont souvent peur d'être moquées ou de ne pas être prises au sérieux par rapport à ces symptômes."
Comme le montre l'exemple d'Anne, "les femmes disposent par ailleurs d'assez peu de connaissances au sujet de la ménopause, du fait que le sujet est globalement un tabou et n'est pas pris en considération par les employeurs, ajoute le professeur Godderis. Elles savent bien entendu que cela va leur arriver, mais elles sont peu informées sur les symptômes et leur impact sur le travail."
Ce tabou se reflète dans la littérature médicale. Les études portant sur l'absentéisme montrent qu'avec l'âge, le risque d'absence au travail augmente. Cependant, très peu de recherches mettent ce constat en relation avec la ménopause et ses effets biologiques.
La ménopause est provoquée par un changement hormonal. Mais elle correspond aussi dans la vie d'une femme à une période particulière, où les enfants sont devenus autonomes, et marque une nouvelle étape. C'est une période où les femmes peuvent se remettre en question, ont parfois un peu plus de temps pour elles-mêmes, font le bilan et s'engagent dans de nouveaux projets. À côté des facteurs biologiques susceptibles de déclencher une série de symptômes, le fait d'entamer un nouveau chapitre de sa vie, avec tous les changements que cela implique, peut aussi avoir des répercussions dans la sphère professionnelle.
D'où la confusion dans les diagnostics : "Si une femme se plaint de symptômes tels que des problèmes de sommeil, des maux de tête, de la fatigue, de l'irritabilité, des sautes d'humeur ou des difficultés de con centration, son médecin ne fera pas toujours le lien avec la ménopause et pourra attribuer ces problèmes à une dépression, un burn-out." Or selon les causes identifiées, le remède n'est pas nécessairement le même.
Faute d'écoute, certaines femmes tentent de faire face seules. "Elles cherchent leurs propres solutions pour se maintenir à un certain niveau de performance, sans oser en parler autour d'elles. Avec un risque d'épuisement professionnel à la clé", déplore Lode Godderis. Ce phénomène, appelé présentéisme, se caractérise par une présence continue au travail en dépit de symptômes graves qui ne permettent pas de travailler correctement. Absentéisme et présentéisme sont deux signaux forts d'un malaise au travail.
Pour en sortir, briser le tabou est primordial. La qualité des relations au travail fait souvent toute la différence. "C'est important d'avoir la possibilité de parler de l’impact de ces symptômes sur le fonctionnement avec son superviseur et qu'il les prenne en considération." La confiance et l'autonomie laissée par l'employeur sont aussi très appréciées. Autoriser une certaine flexibilité dans les horaires de travail permet aux femmes qui souffrent de problèmes de concentration, de fatigue etc., d'organiser leurs tâches en tenant compte des moments difficiles. "Ce sont souvent des femmes très motivées, qui sont prêtes à faire un effort pour rester aussi performantes que possible et qui demandent juste parfois à pouvoir s'organiser autrement." De plus, l’expérience acquise à cet âge est à valoriser, comme l’indique une récente étude MC.
Outre l'impact potentiel sur la capacité de travail, la ménopause est aussi source d'inconfort et peut créer des tensions avec les collègues. Les fameuses bouffées de chaleur dont beaucoup souffrent à la ménopause ne sont pas toujours faciles à gérer. Certaines se retrouvent en nage, ont besoin d'enlever des couches de vêtements, d'ouvrir une fenêtre, de s'hydrater. "Parmi les solutions qui peuvent être mises en place, il y a tout simplement la ventilation. C'est une petite chose, mais cela améliore vraiment le confort et montre que l'employeur est conscient du problème et agit en conséquence", explique Lode Godderis.
Il n'y a pas que le dialogue avec la hiérarchie ou le responsable des ressources humaines qui compte ; il faut aussi se sentir à l'aise avec les autres membres de son équipe. "Bénéficier du soutien de ses collègues, de leur compréhension, se sentir bien au travail, permet de vivre cette période plus facilement", conclut le professeur.
On ne trouve cependant pas toujours dans son environnement de travail cette qualité d'écoute, de dialogue. Pour Lode Godderis, un important travail de sensibilisation reste à réaliser : "La première chose à faire, c'est d'informer davantage. Non seulement les femmes, mais l'ensemble de la société, car chacun peut être le collègue d'une femme en situation de ménopause."
Les femmes se sentent souvent seules par rapport à cette problématique. Elles-mêmes ne font pas nécessairement le lien entre le malaise qu'elles ressentent et la ménopause. D'où l'importance de connaitre et reconnaitre les symptômes. "On vit beaucoup mieux une situation dès lors qu'on en connaît la cause. On accepte mieux ce que l'on vit, on peut en parler et mettre en place des solutions."
La deuxième chose, c'est d'étudier avec le médecin du travail l'impact sur le fonctionnement, la concentration, la mémoire, pour trouver comment améliorer la situation. En complément de l’aménagement du cadre de travail, un soutien psychologique s’avère parfois utile. "Des études montrent qu'une thérapie cognitivo-comportementale aide à faire la part des choses entre les faits, les ressentis et les réflexions, à accepter la situation et à voir où il est possible d'agir concrètement pour augmenter le confort. De toutes petites choses peuvent faire une grande différence", assure le professeur.
Lode Godderis déplore le manque actuel de ressources, de groupes de parole ou d'entraide spécifiques pour les femmes, mais aussi le tabou général dans le monde professionnel : "C'est presque un sujet non existant — alors que toutes les femmes vont passer par cette étape et être plus ou moins impactées." La Belgique gagnerait à s'inspirer de ce qui se fait ailleurs, par exemple au Royaume-Uni, où Deborah Garlick a créé Henpicked, un centre d'expertise pour aider les femmes et les employeurs à briser le tabou.
"Avec le recul de l'âge de la pension, ce problème sera de plus en plus prévalant. En particulier dans les secteurs où les femmes sont majoritaires, comme les soins ou l'éducation. Une meilleure prise en compte serait un plus tant pour les femmes que pour les employeurs", conclut le professeur.
La problématique de la ménopause rejoint la question plus vaste du bien-être au travail, et remet en cause la vision d'un parcours professionnel linéaire. "En réalité, aucune carrière n'est linéaire, fait remarquer Lode Godderis. Ce sont plutôt des vagues, avec des temps plus forts et des périodes où l'on travaille moins, où l'on a d'autres priorités dans sa vie. C'est d'autant plus marqué pour les femmes, par la biologie ; c'est néanmoins vrai pour chacun. Pour les hommes autour de la cinquantaine, par exemple, cela peut aussi être un moment où ils re définissent leurs priorités dans la vie."
En se féminisant, le mon de du travail a été rappelé à cette réalité : les travailleurs et les travailleuses ne sont pas des machines au rendement régulier. Des facteurs comme la santé et la famille ont un impact sur la carrière. Quand les aléas du cycle de la vie modifient temporairement l'aptitude au travail, un bon dialogue, dans un climat de confiance, reste la clé pour s'ajuster au mieux et trouver ensemble des solutions.
Lode Goderis, directeur Idewe
Lode Goderis, directeur Idewe