Santé

Survivorship : quelle santé après le cancer ?

Certains traitements contre le cancer peuvent avoir des effets à long terme sur la santé physique et mentale. Une surveillance est donc nécessaire. Depuis peu, des consultations de "survivorship" proposent un suivi médical et psychosocial spécialisé.

Publié le: 25 septembre 2025

Mis à jour le: 25 septembre 2025

Par: Candice Leblanc

7 min

Un vieil homme parle avec son médecin

Photo: (c)AdobeStock // Les consultations de survivorship offrent un suivi multidisciplinaire et personnalisé aux survivants et survivantes de cancer.

Grâce aux progrès de la médecine, un nombre croissant de personnes survivent plus longtemps au cancer. Au prix, cependant, de plusieurs mois, voire d’années de traitements, d’incertitudes et d’angoisses. Une telle épreuve peut affecter tous les aspects de la vie : le parcours professionnel, les finances, les relations affectives et familiales, la vie sociale, les projets… mais aussi la santé mentale et physique. C’est tout l’enjeu des consultations de survivorship : offrir un suivi multidisciplinaire et personnalisé aux survivants et survivantes de cancer. 

Car les traitements anticancers sont loin d’être une promenade de santé ! Même s’ils tendent à être de plus en plus ciblés et précis, ils ne s’attaquent pas qu’aux tumeurs et cellules cancéreuses : bien souvent, ils altèrent aussi les tissus environnants et/ou des organes sains, entrainant des effets secondaires indésirables (toxicités) qui peuvent persister quelque temps après l’arrêt des traitements. 

Des traitements "toxiques" pour le corps

Certains médicaments, notamment parmi les agents de chimiothérapie, peuvent laisser des séquelles : 

  • Les anthracyclines abiment les cellules cardiaques et altèrent les vaisseaux sanguins. Ce qui, à terme, majore le risque de maladies cardiovasculaires. 

  • Les alkylants sont toxiques pour les ovocytes ("ovules") et les spermatozoïdes. Généralement, un traitement pour préserver la fertilité est proposé aux s personnes mineures ou en âge de procréer quand l’état du cancer le permet. 

  • Certains anticorps monoclonaux et chimiothérapies attaquent les nerfs et peuvent être à l’origine de douleurs chroniques et/ou de troubles de la marche. 

  • L’immunothérapie comporte aussi son lot de toxicités, plus ou moins sévères, plus ou moins réversibles : inflammations de la thyroïde, maladies auto-immunes, etc.

Ce n’est pas tout : en induisant des anomalies cellulaires, certains médicaments peuvent même être à l’origine d’un autre cancer ! Idem avec la radiothérapie. Si les techniques actuelles sont beaucoup plus précises et moins lourdes, de nombreuses personnes qui ont été très (trop) irradiées il y a vingt ou trente ans courent encore le risque de développer des cancers secondaires. 

Le suivi postcancer en question

Rappelons-le, les traitements contre le cancer sont indispensables à la guérison ! Et, fort heureusement, toutes les personnes traitées ne subiront pas ces effets secondaires à long terme. "Mais nous ne pouvons pas attendre qu’un patient fasse un infarctus pour surveiller son cœur ou tout autre organe susceptible de souffrir d’un traitement !", commente Alice Wolfromm, hématologue et responsable de la Clinique du suivi à long terme de l’Institut Jules Bordet. Pendant la maladie, cette vigilance est déjà de mise ; oncologues et radiothérapeutes connaissent et surveillent les toxicités des traitements qu’ils prescrivent. Quand c’est nécessaire, ils collaborent avec d’autres médecins (cardiologues, neurologues, néphrologues, etc.) pour gérer lesdites toxicités et, si nécessaire, adapter les doses.  

Là où le bât blesse, c’est après le cancer, quand les patients et patientes en rémission depuis plus de 5 ans sont (ou se croient) sorties d’affaire et disparaissent dans la nature. "Il est normal de vouloir sortir du circuit hospitalier, reprendre une vie plus ou moins normale et 'oublier tout ça', reconnait la Dr Wolfromm. Mais quand vous avez bénéficié d’un traitement connu pour induire des toxicités à long terme ou des séquelles, qu’elles soient physiques ou psychologiques (1), bénéficier d’un suivi spécialisé à intervalles réguliers permet de prévenir ou, au moins, de détecter au plus tôt un éventuel problème de santé, lié à cette prise en charge cancérologique."

Une offre de soins anecdotique

Le concept de survivorship est plutôt récent et, en Belgique, quelques initiatives existent déjà. L’hôpital universitaire de Gand a été pionnier dans le suivi à long terme des enfants ayant survécu à un cancer hématologique (leucémie, lymphome, etc.). À Bruxelles, la Clinique de remédiation neurocognitive, située au CHU Brugmann, est la seule structure en Belgique — et l’une des seules en Europe ! — à proposer un programme de soins personnalisé et multidisciplinaire aux personnes qui, suite à un cancer, développent des troubles de la mémoire, de la concentration, de l’attention, etc. Et à l’Institut Jules Bordet, la Clinique du suivi à long terme des adultes hématologiques a été officiellement créée… l’année dernière. Çà et là, des programmes de revalidation post-cancer sont proposés, notamment pour les personnes ayant eu un cancer du sein, des ovaires ou de la prostate, surtout si elles sont mises sous hormonothérapie. 

Mais à l’heure actuelle, ces offres de soins innovantes sont encore insuffisantes par rapport aux milliers de personnes potentiellement concernées — et dont le nombre ne cessera de croitre au fur et à mesure des progrès de la médecine. Sans surprise, cette carence s’explique en grande partie pour des raisons budgétaires. Ce que déplorent de nombreux spécialistes du cancer. "Notre système de soins de santé débourse chaque année des millions d’euros pour des traitements innovants, constate la Dr Wolfromm avec une pointe d’amertume.  À court terme, c’est une bonne chose pour les malades, bien sûr, mais à quoi ça sert si, après, ces mêmes personnes sont 'abandonnées' par le système et développent d’autres pathologies, potentiellement aussi graves ?" 

Un suivi pour avoir l’esprit tranquille

L’idéal, selon la spécialiste, serait d’identifier les personnes qui tireraient le plus de bénéfices santé d’un suivi de survivorship pour mettre en place la stratégie de dépistage la plus adéquate possible : quels examens réaliser ? À quelle fréquence ? Pour qui ? Or, nous ne le savons pas encore avec précision. "L’Union européenne commence à financer des études sur la question, mais nous manquons encore de données pour chiffrer plus précisément les risques (cardiovasculaires, oncologiques, etc.) en fonction du type de traitement, des doses reçues, et du profil de chaque individu : âge, genre, facteurs de risque préexistants, etc." Car il ne faudrait pas non plus verser dans une “paranoïa” médicale aussi coûteuse qu’anxiogène ! Rien ne sert d’inquiéter inutilement des personnes déjà fragilisées par l’épreuve de la maladie. 

L’enjeu est plutôt d’informer le corps médical de symptômes qui peuvent être liés à une prise en charge cancérologique passée...  Par leur approche multidisciplinaire, les programmes de survivorship constituent un idéal, mais tous les hôpitaux n’en proposent pas. En revanche, il est prudent de retourner voir son médecin spécialiste (gynécologue, urologue, oncologue, hématologue, etc.) chaque année, même au-delà de cinq ans de rémission. Quant au médecin généraliste traitant, il faut toujours l’informer des antécédents personnels ou familiaux de cancer. En laissant les docteurs garder ça en tête pour elles, les personnes qui ont survécu au cancer peuvent avoir l’esprit plus tranquille.