Prévention

Conduire jusqu’à quel âge ?

Préserver l'indépendance et la mobilité des aînés sans compromettre leur sécurité ni celle des autres usagers de la route : comment résoudre l'équation de cet enjeu majeur ? 

Publié le: 10 septembre 2025

Mis à jour le: 29 septembre 2025

Par: Joëlle Delvaux

7 min

Un homme âgé tout sourire au volant de sa voiture

Photo: “© AdobeStock // les effets du vieillissement ne touchent pas tout le monde ni au même âge, ni dans la même mesure.

Judith est inquiète. La veille, son père âgé de 87 ans a pris un rond-point dans le mauvais sens, en pleine zone de travaux. Le mois passé, c’est un poteau qu’il n’a pas vu en reculant. La voiture sortait tout juste du garage. Edmond avait fait remplacer le rétroviseur arraché en longeant trop près un véhicule en stationnement. Heureusement, il n’y a pas eu de conséquence grave jusqu’ici mais les signaux sont là. Edmond doit bien admettre que conduire devient dangereux…

C'est un fait : avec l’âge, les sens s'altèrent et les capacités physiques et cognitives diminuent : baisse de la vision (notamment périphérique et nocturne), perte d’audition, ralentissement de la motricité et du temps de réaction, troubles de l'attention... Mais les effets du vieillissement ne touchent pas tout le monde ni au même âge, ni dans la même mesure. Et les limitations n’entraînent pas nécessairement une inaptitude à la conduite. "Beaucoup de conducteurs âgés sont en parfaite santé et peuvent tout à fait continuer à conduire, assure Belinda Demattia, porte-parole de l'Agence wallonne pour la sécurité routière (AWSR). Du reste, la plupart compensent naturellement en choisissant le lieu et le moment où ils conduisent, et en adoptant une conduite prudente.

L'âge avançant, certaines affections qui peuvent impacter la conduite - comme l'arthrose, les maladies cardiovasculaires, la démence… - apparaissent plus fréquemment. Légalement, il revient au médecin de vérifier chez un patient qu'il satisfait aux conditions requises pour conduire un véhicule à moteur. Mais le médecin ne peut rien lui imposer et reste soumis au secret médical. In fine, la responsabilité incombe au conducteur. Rappelons qu'à chaque renouvellement du permis de conduire (tous les dix ans), le conducteur signe sur l’honneur une déclaration d'aptitude physique et mentale.

Pas de contrainte européenne

Faut-il imposer aux conducteurs âgés un renouvellement fréquent du permis de conduire avec contrôle médical, examen pratique ou remise à niveau ? Il y a deux ans, la proposition de la Commission européenne d'obliger les États membres à introduire de telles mesures contraignantes à partir de 65 ou 70 ans avait suscité de vifs débats. Dans les pays où ces contrôles obligatoires existent (Finlande, Suède…), aucune amélioration notable de la sécurité routière n’a été observée, alors que la mobilité des seniors s’en est trouvée réduite. Face aux nombreuses critiques, le Conseil européen a rétropédalé : lors du renouvellement du permis de conduire (tous les 15 ans max.), chaque pays pourra opter au choix pour un contrôle médical ou des alternatives, tel un formulaire d'auto-évaluation. Et la politique menée à l'égard des conducteurs âgés reste libre. 

Pour une conduite responsable 

En Belgique, le dispositif actuel permet d'imposer aux seniors des restrictions à la conduite en cas de nécessité médicale. Le médecin peut délivrer une attestation d’aptitude ou d’inaptitude à la conduite, assortie de restrictions et conditions si nécessaire. En cas d'atteinte fonctionnelle, il doit orienter son patient vers le DAC en Wallonie ou le Cara en Région bruxelloise et en Flandre pour faire évaluer gratuitement son aptitude à conduire. Et le patient a l'obligation d'effectuer cette démarche. Une compagnie d'assurance ne peut pas imposer une telle évaluation mais elle peut refuser d'assurer un client qui ne s'y contraint pas. Le conducteur qui n'a pas de problème de santé peut être redirigé vers Driving Know How pour une évaluation des compétences et techniques de conduite.

Le DAC et le Cara disposent chacun d'une équipe pluridisciplinaire qui réalise les examens et tests nécessaires selon le dossier médical. Le conducteur est ensuite invité à un test sur la route. "Il ne s'agit pas de repasser le permis de conduire. Il n'y a aucun piège. On cherche à estimer de quelle manière des problèmes de santé vont se répercuter sur la conduite. On peut aussi tester des adaptations au véhicule lorsque des problèmes moteurs sont survenus à la suite de pathologies, explique Megane Murru, ergothérapeute au DAC. Cette rencontre est aussi l'occasion d'entendre les difficultés de la personne et de lui donner des conseils".
L’inaptitude à la conduite est loin d’être la seule décision prononcée au terme de l'évaluation. "On cherche toujours les solutions les plus équilibrées", insiste Belinda Demattia. Les chiffres le confirment : sur les 966 conducteurs de plus de 65 ans évalués en 2024, seulement 5 % ont été déclarés inaptes à la conduite. Un quart ont été déclarés aptes. Et plus de la moitié ont été déclarés aptes avec des restrictions (et éventuellement des adaptations) : ne pas emprunter l'autoroute, respecter un périmètre autour du domicile… Pour 4 seniors sur 5, la correction de la vision s'est ajoutée comme condition. L'aptitude assortie de restrictions est donnée pour un an, avec obligation de représenter un nouveau test.

Pas de discriminations selon l'âge

Tout en insistant sur la nécessité de sensibiliser les médecins et les conducteurs à l'importance de leurs rôles et responsabilités, les deux agences pour la sécurité routière - Vias et AWSR - estiment que le dispositif tel qu'il fonctionne dans notre pays a fait ses preuves et permet de trouver un juste équilibre entre les besoins de mobilité des seniors et la sécurité des usagers. Le gouvernement fédéral ne prévoit d'ailleurs pas de modifier la législation en matière de permis de conduire. "Imposer un contrôle médical ou un examen pratique aux seuls seniors serait non seulement discriminatoire mais injustifié, souligne Belinda Demattia. Contrairement aux idées reçues, les conducteurs âgés de 65 ans et plus ne sont pas plus dangereux que les autres. Moins présents et plus prudents sur la route, ils sont 4 fois moins impliqués dans des accidents graves que les jeunes entre 20 et 24 ans, et leur risque de blesser grièvement autrui est beaucoup plus faible. En revanche, les seniors sont plus souvent victimes de la route comme piétons ou cyclistes. 

Lorsque le doute s’installe… 

En cas de doute sur ses capacités à conduire en toute sécurité ou celles d'un proche, la première chose à faire est d'en parler au médecin traitant. "On pense souvent aux troubles cognitifs mais la vue et l'ouïe sont tout aussi déterminants, confie la Dr Imane Hafid, médecin généraliste. Les gens ont tendance à minimiser les signes de l'âge, à penser qu'il n'y a rien à faire. Pourtant, porter des lunettes correctrices ou un appareil auditif, cela peut tout changer." La vigilance s’impose aussi vis-à-vis des médicaments. "Comme les somnifères, certains antidouleurs provoquent de la somnolence. Il est de la responsabilité de chacun de ne pas prendre le volant dans ces circonstances."

Pour un senior, reconnaître ses propres limitations et déficiences est assurément un sujet sensible. Souvent, le Dr Hafid invite son patient à tester en ligne ses capacités à conduire. "Une prise de conscience personnelle est toujours plus bénéfique que des injonctions venant du médecin, commente-t-elle. Dans beaucoup de cas, heureusement, à un moment donné, la personne décide d'elle-même de lâcher le volant, sans remettre pour autant son permis de conduire à la commune…"