Incapacité de travail
Flatulences, mycoses, odeurs, érection molle, hémorroïdes... parler de ses "désagréments physiques" avec son médecin n'est pas chose aisée. Si certains sont naturels et sans danger, d'autres peuvent être symptomatiques d'une pathologie. Et si comprendre ces tabous permettait de s'en affranchir ?
Publié le: 02 juin 2021
Par: Soraya Soussi
8 min
Photo: © iStock
"Excusez-moi pour l'odeur, docteur", lance un patient à Ingrid Van Dermoten, médecin généraliste à la maison médicale des Riches-Claires à Bruxelles, lorsqu'elle lui demande d'enlever ses chaussures. "Il y a certains tabous récurrents qu'on devine par la gêne, la honte, et puis ceux qu'on ne soupçonne pas car ils sont tus ou cachés", observe la médecin. À la vue des pieds du patient, Ingrid Van Dermoten diagnostique une tumeur cutanée... L'homme, qui avait des petites lésions au départ, n'avait jamais voulu en parler.
La dermatologue allemande Yael Adler a récemment consacré un ouvrage à ces tabous corporels, intitulé Ça ne se faitpas d'en parler (1). La recension qu’elle en fait souligne l'enjeu sanitaire réel et l’importance d’en parler. Ses explications scientifiques accessibles permettent aux lecteurs et lectrices de comprendre les processus biologiques de notre organisme. Le tout sur un ton humoristique. Ainsi, on apprend par exemple que les odeurs corporelles dépendent de notre régime alimentaire, de la qualité de notre microbiote (écosystème de micro-organismes) garant, entre autres, de notre équilibre gastrique, de notre patrimoine génétique, de notre état de santé (une personne atteinte d'une maladie dégagera une odeur particulière), du sexe, etc. Et que tout cela est perçu différemment selon les individus puisque nous avons chacun une empreinte olfactive singulière.
L'auteure consacre également un chapitre à la santé sexuelle : maladies sexuellement transmissibles, mycoses vaginales, lésions anales (non traitées, elles peuvent se transformer en abcès graves), troubles de l'érection, etc. On y apprend ainsi que les hommes peuvent être sujets à un priapisme – une érection prolongée– souvent causée par une prise de drogues ou effet secondaire lié à certaines maladies... Pas évident, dès lors, de se rendre chez son médecin avec le pénis positionné au garde à vous. Et pourtant, l'homme devra bien prendre son courage à deux mains, au risque de subir des complications.
Autre sujet tabou : la chute de cheveux. L'alopécie, liée généralement au stress et aux angoisses, peut révéler d'autres maladies, en particulier chez les femmes. "Parce qu'un problème arrive rarement seul, les femmes atteintes d'alopécie ont souvent de l'acné, une peau grasse, des pellicules et des troubles récurrents de poils au menton, sur la poitrine ou dans la région du ventre". Si ces symptômes se déclarent, prévint la dermatologue, mieux vaut passer chez son médecin pour effectuer un bilan hormonal car "ces dysfonctionnements peuvent indiquer un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), qui d'après les études, affecte 10% des femmes de manières plus ou moins prononcée."
La liste des désagréments physiques est encore longue. "Tout ce qui est lié aux odeurs, aux incontinences, aux questions génitales, sont des sujets qui sont peu abordés dans la société en général et donc en consultation médicale", confirme Ingrid Van Dermoten. Si les tabous concernent tout le monde, ils ne se vivent pas toujours de la même façon en fonction du contexte culturel et du rapport entretenu avec les questions de genre : "Je suis parfois confrontée au refus de certains patients de se faire examiner par une femme", confie la médecin. Et d’ajouter : "Certains patients du même âge et de la même culture que moi n’osent pas se faire examiner de peur d’être jugés." Deux raisons différentes pour le même effet donc. "Tout comme certaines femmes n'osent pas aborder la question des règles, encore très taboue, que ce soit en Orient ou en Occident."
Les tabous ne se vivent pas non plus de la même façon à tous les âges, observe Audric Gilman, médecin généraliste dans plusieurs maison médicales à Bruxelles et Charleroi. "Certaines personnes âgées perçoivent les médecins comme des 'êtres à part' et ont un très (trop) grand respect. Cette perception ne leur permet pas de se confier sur des sujets 'plus délicats', contrairement à des jeunes qui ont rompu avec cette image sacralisée du médecin."
La peur du traitement et de son coût peut également constituer un frein. "Même si les gens savent ce qu'ils ont, ils n'oseront pas en parler, par crainte d'un traitement lourd et coûteux, ce qui n'est pas forcément le cas. Surtout si le problème est pris à temps", assure Audric Gilman.
Les tabous ne sont pas que l’affaire des patients. En consultation, les médecins doivent également se confronter à leur propre gêne. Les problèmes d’hygiène, par exemple, peuvent se révéler très délicats à aborder. "D’autant plus lorsque les patients ne viennent pas consulter pour cela", note Ingrid Van Dermoten.
Tout ce qui touche à l’intimité peut également embarrasser. "Je dois avouer que je ne suis pas proactif sur les questions d'ordre gynécologique car je ne suis pas à l'aise avec cette spécialité. Je préfère donc réorienter la patiente", confie Audric Gilman à titre d’exemple personnel. Ingrid enchaîne en expliquant qu'elle est très sensibilisée aux violences intra-familiales ou conjugales et n'a donc pas de mal à poser des questions sur ces sujets. "D'autres collègues, en revanche, se sentiront moins à l'aise et même s'ils voient un souci, ils n'iront peut-être pas creuser par pudeur, méconnaissance du thème, par impuissance..."
Pour Ingrid Van Dermoten, il est nécessaire de sensibiliser les étudiants en médecine à la meilleure façon d’aborder ces aspects plus délicats avec leurs patients. Les professionnels de la santé doivent être encouragés à prendre de la distance face aux situations qui les ont "bloqués" durant leurs consultations pour dégager des pistes de solutions.
Les groupes de paroles et réunions d'échanges entre médecins (par exemple, Balint ou les Glem, groupes locaux d'échanges entre médecins) peuvent également être une ressource, note Audric Gilman : "Ce sont des espaces où nous partageons nos peurs, nos préjugés, nos erreurs médicales et nos tabous afin de trouver ensemble des solutions", développe-t-il.
De la part du patient comme du médecin, il s'agit ici d'entrevoir une vision collaborative : "Plus le médecin semble accessible, humain et explique la situation, plus le patient se sentira en confiance pour aborder des problèmes corporels, sans peur d'être jugé, lance Ingrid. Le médecin doit pouvoir dépasser ses propres tabous et stéréotypes pour poser les bonnes questions."
De son côté, le patient qui ose parler pourra bénéficier de l'expertise du professionnel soignant, comprendre ce qui lui arrive grâce à un diagnostic précis et favoriser un pouvoir d'action sur sa santé en toute liberté.
(1) "Ça ne se fait pas d'en parler – stop aux tabous corporels", Y. Adler, Ed. Jouvence, Genève, 2021, 22,90EUR.
Les flatulences ! Silencieuses ou bruyantes, odorantes ou non. Il y en a pour tous les goûts. À leur arrivée surprise, elles peuvent faire éclater de rire ou au contraire, être très gênantes. Tout dépend du public présent, du contexte et du lieu où l'on se trouve. La plupart de nos gaz sont naturels et provoqués par divers processus organiques – une personne en bonne santé pète entre 10 et 20 fois par jour, rappelle Yael Adler. Ils correspondent à l'air avalé associé aux gaz produitspar l'activité bactérienne du système digestif. Par ailleurs, il semblerait, selon l'auteure, que les flatulences affectent davantage les femmes que les hommes. Pour cause : "Les taux d'hormones fluctuent en fonction du cycle féminin, phénomène qui met à mal l'intestin, car œstrogène et progestérone peuvent occasionner des épisodes de constipation. D'autres part, pendant les règles, l'organisme libère des hormones tissulaires qui, en provoquant le détachement de la muqueuse utérine, déclenchent occasionnellement des crampes et ballonnements intestinaux ainsi que des diarrhées."
Si certaines flatulences sont naturelles, d'autres, en revanche, peuvent être le signe de problèmes intestinaux, d'irritations, d'allergies ou d'intolérances alimentaires et, dans le pire des cas, elles sont révélatrices d'un cancer colorectal (pet accompagné d'émission de selles). Pour éviter ces troubles intestinaux, rien de tel que de "chouchouter ses intestins" en évitant café, soda, cigarettes. Idéalement, mieux vaut bannir le blé issu de l'agriculture intensive, les fast-foods, les édulcorants, les conservateurs, etc. L'auteure préconise la consommation de thé noir, de tisanes au cumin ou à la camomille. Le fenouil, la menthe, le gingembre, la mélisse sont également d'excellents alliés des intestins. Tout comme boire au moins deux litres d'eau par jour facilite le transit intestinal. Toutefois, Yael Adler avertit que si ces moyens naturels soulagent, ils ne peuvent guérir de troubles sérieux. Prendre soin de sa flore intestinale est essentiel pour minimiser, au mieux les grands moments de solitude, au pire prévenir de problèmes plus graves.