Incapacité de travail
Devenu un incontournable des trousses de toilette et sacs de sport, le déodorant n’en reste pas moins un sujet un peu tabou, comme celui de la transpiration. Si on en parlait ?
Publié le: 25 janvier 2023
Par: Valentine De Muylder
8 min
Photo: © AdobeStock
"Nous transpirons pour éliminer des calories", explique le professeur Dominique Tennstedt, du service de dermatologie de Saint-Luc. La transpiration est "une soupape de sécurité", un mécanisme destiné à protéger notre organisme contre une température corporelle trop élevée, qu’il ne pourrait pas supporter. La source de chaleur peut être externe ou interne, liée à un effort physique. "Le stress fait également transpirer. Ainsi que certaines boissons, comme le café ou le thé. Ou encore les fluctuations hormonales, en période de règles, de grossesse ou de ménopause", précise le Pr Tennstedt. Enfin, l’âge joue un rôle : si les adolescents transpirent beaucoup, c’est rarement le cas des personnes âgées.
"Si vous sentez votre transpiration au niveau des paumes des mains, vous ne sentez strictement rien", fait remarquer le Pr Tennstedt. Tout notre corps transpire, et pourtant l’odeur n’est pas la même partout... Comment l’expliquer ? L’odeur de transpiration résulte de la décomposition de la sueur par des bactéries qui pullulent sur notre peau. Mais si l’odeur de nos aisselles est si… particulière, c’est parce qu’on y trouve des glandes qui produisent une sueur tout aussi particulière : les glandes apocrines. "Au temps où nous étions des animaux, ces glandes ‘à odeur’ nous permettaient de nous retrouver dans les bois", explique le spécialiste. "Aujourd’hui, elles ne servent plus à rien mais, malheureusement pour beaucoup de gens, nous les avons gardées."
"L'odeur et la quantité de transpiration sont très différentes d’une personne à l’autre", rappelle le dermatologue. Quelques gestes peuvent cependant aider à prévenir l’odeur de transpiration, comme le fait de se laver régulièrement, ou encore de se raser ou de s’épiler les aisselles. "La pilosité, qui retient la sueur, pourrait en effet accentuer l’odeur", explique le Pr Tennstedt. Ne pas s’habiller trop chaudement, privilégier les tissus respirants, ou encore améliorer sa gestion du stress, sont d’autres conseils préventifs. Mais cela ne suffit pas toujours. C’est pourquoi nous sommes nombreux à souhaiter nous tourner vers un déodorant ou un antitranspirant.
Les premiers ne s’attaquent qu’aux odeurs, le plus souvent grâce à une combinaison de parfums, de substances antibactériennes et de substances neutralisant les odeurs. Les seconds réduisent également la transpiration, temporairement et de manière localisée. Ce qui, en soi, ne pose pas de problème, pour le Pr Tennstedt : "On peut très bien stopper la transpiration au niveau des aisselles sans que cela ne joue sur la santé générale." L’ingrédient le plus fréquent des antitranspirants est l’aluminium, sous la forme de différents composés ou de pierre d’alun. Appliqué sur la peau, il en bouche les pores et fait littéralement barrière à la sueur.
Le Pr Tennstedt confirme l’efficacité des antitranspirants à l’aluminium ("ce sont les seuls qui marchent !"). Mais pourquoi autant de produits se vantent-ils aujourd’hui de ne pas en contenir ? Parce que ce composant fait l’objet d’une controverse, certaines études pointant du doigt un lien potentiel avec le cancer du sein. En 2015, en Belgique, le Conseil supérieur de la santé estimait qu’il ne disposait pas d’informations suffisantes sur la quantité d’aluminium absorbée par le corps en cas d’application sur la peau pour pouvoir évaluer le risque avec précision, et prônait de ce fait la prudence (1). Depuis, de nouvelles études ont été menées et, en mars 2020, le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs (Union européenne) a estimé que l’aluminium n’était pas ou peu absorbé par la peau et que son utilisation dans les antitranspirants était sûre, à condition de ne pas dépasser certaines concentrations (10,60% pour les sprays et 6,25% pour les autres) (2). Un avis rassurant que partage le Pr Tennstedt. La recherche continue cependant d'avancer, et le débat ne semble pas encore tout à fait clos. En attendant, les alternatives "sans sels d’aluminium" se sont multipliées sur le marché.
Certaines substances peuvent se révéler problématiques, comme l’alcool, qui a l’inconvénient d’être irritant, ou les parfums. "Certains (parfums) peuvent provoquer une réaction allergique", écrit Test Achats dans son tout récent guide d’achat sur les déodorants et antitranspirants. (3) Sur les 23 produits testés par l’organisation de défense des consommateurs, la majorité contenait des allergènes, qui doivent être mentionnés sur l’emballage. "On a également constaté que certains déodorants et anti-transpirants contenaient des perturbateurs endocriniens, respectivement la cyclométhicone et le cyclotétrasiloxane", continue Test Achats. Un perturbateur endocrinien est une substance chimique "non produite par le corps humain qui perturbe le fonctionnement de nos hormones et a un effet néfaste sur la santé (…)", selon le Service public fédéral (SPF) Santé publique, qui conseille en particulier aux femmes enceintes de les éviter.
C’est une question d’affinités et de critères. Il est bien sûr possible d’alterner les déodorants selon les circonstances : périodes de stress, événements importants... Pour connaître le contenu d’un produit, mieux vaut se fier à la liste de ses ingrédients plutôt qu’aux couleurs, termes et labels parfois trompeurs qui figurent sur son emballage. L’application gratuite Yuka, qui se déclare indépendante des marques, permet par exemple de scanner les code-barres de nombreux produits à l’aide de son smartphone pour obtenir des infos détaillées sur leur contenu, ainsi qu’une note globale. Une évaluation stricte qui "manque parfois de nuance", regrette Test Achats. L’organisation de défense des consommateurs propose quant à elle une analyse intéressante (mais réservée à ses membres) des ingrédients contenus dans les cosmétiques, ainsi qu’un guide d’achat mettant en outre l’accent sur l’efficacité et le prix. Avec ce constat interpellant : "Les résultats (…) montrent qu'il est préférable d'acheter l'un des antitranspirants ou déodorants les moins chers que nous avons testés et qu'ils fonctionnent souvent aussi bien, voire mieux, que les plus chers."
Face aux exigences des consommateurs, de nouveaux produits font leur apparition. Focus sur les déodorants artisanaux, que l’on trouve principalement dans les herboristeries et les magasins bio. A moins de s’aventurer à les réaliser soi-même…
"On sait ce qu’il y a dedans", résume Aline Assadourian, pharmacienne de formation et créatrice de cosmétiques naturels. "Dès lors qu’on connaît chaque ingrédient et qu’on en réduit la liste, on se sent plus en confiance." Une question d’écologie aussi, car ces produits sont souvent respectueux de l’environnement, y compris dans leur conditionnement. Aux personnes curieuses de les découvrir mais qui doutent de leur efficacité, elle conseille de les essayer dans des moments où elles craignent moins de transpirer : "Il faut parfois chercher, c’est un chemin. On n’a pas tous la même transpiration."
"Il y a énormément de choix, mais ceux qui contiennent du bicarbonate de soude sont généralement les plus efficaces", explique Aline Assadourian. Le bicarbonate a une action anti-odeur et un PH basique qui empêche la prolifération des bactéries. Sur le long terme, il peut toutefois provoquer des irritations. D’autres ingrédients que l’on retrouve souvent dans les déodorants artisanaux, en fonction de leur texture (crème, stick, poudre…), sont l’huile de coco, l’aloe vera, l’argile blanche et certaines huiles essentielles, pour leurs propriétés antibactériennes, ou encore l’amidon (de maïs, de riz…) et la magnésie, qui absorbent l’humidité. Des ingrédients généralement bien tolérés, assure la spécialiste, qui précise que les huiles essentielles doivent être choisies et dosées avec précaution pour éviter tout effet indésirable : "Il faut soit les connaître, soit demander conseil à une personne spécialisée."
En plus d’être écologique, créer ses propres cosmétiques peut être amusant et économique (bien que cela demande un petit investissement de départ). Comment s’y prendre ? Par exemple en suivant cette recette proposée par le média en ligne Brut. (4), que nous avons soumise à l’expertise d’Aline Assadourian : mélanger dans un bol, à la fourchette, deux cuillères à café d’huile de coco, une cuillère à café de fécule de maïs et une cuillère à café de bicarbonate de soude alimentaire, jusqu’à obtenir une texture pâteuse ; y ajouter une cuillère à café de beurre de karité, 2 gouttes d’huile essentielle de lavande et 2 gouttes d’huile essentielle de palmarosa, et mélanger encore ; mettre ensuite la pâte dans un contenant fermé au choix. Devenu solide, ce déodorant s’applique comme une pommade, sous les aisselles, et se conserve au moins six mois à température ambiante. Une astuce d’Aline Assadourian pour améliorer la recette : les huiles essentielles peuvent être remplacées par celle de tea tree, pour un parfum moins floral.
(1) "Analyse de la toxicité globale de l’aluminium et calcul de l’exposition avec une attention particulière pour les composés d’aluminium dans les produits cosmétiques", SPF Santé Publique, avril 2015
(2) "The safety of aluminium in cosmetic products", European Commission (Public Health), mars 2020
(3) "Comment choisir un déodorant/antitranspirant ?", Test Achats, février 2022
(4) "Comment faire soi-même un déodorant biologique", Brut., novembre 2018
Vous ne trouvez pas la solution qui vous convient ? Si votre transpiration vous semble excessive ou que vous vous posez des questions à son sujet, parlez-en à votre médecin traitant ou à votre dermatologue.