Ma Crohn de vie, l'histoire d'une fille "bien dans sa poche"
Dans son premier roman graphique, l’illustratrice et instagrameuse française Juliette Mercier (@stomiebusy) raconte avec humour comment la maladie de Crohn et l’opération qu’elle a subie ont transformé sa vie. Une pépite de résilience et d’acceptation.
Publié le: 02 décembre 2021
Par: Valentine De Muylder
8 min
Illustration: © Juliette Mercier
À 15 ans, Juliette sait depuis longtemps ce qu’elle veut faire plus tard : raconter des histoires en dessins. Ce qu’elle ne sait pas encore, c’est pourquoi elle a si souvent mal au ventre. Après une série d’examens "tous plus agréables les uns que les autres", le diagnostic finit par tomber : elle souffre de la maladie de Crohn, une inflammation chronique de l’intestin. Aujourd’hui, Juliette Mercier a non seulement réalisé son rêve d’enfant, mais elle l’a mis à profit pour partager son expérience. Devenue illustratrice et professeure d’arts appliqués, elle vient de publier Ma Crohn de vie, un roman graphique dans lequel elle revient sur ses déboires face à la maladie : le diagnostic en pleine adolescence, le casse-tête infernal des traitements et finalement, à 28 ans, l’iléostomie définitive. Une opération qui consiste à retirer la partie malade de l’intestin et à relier la partie saine à un orifice artificiel au niveau de l’abdomen, sur lequel est posée une poche qui recueille les selles. Drôle dès les premières pages, ce livre est également touchant et intéressant, que l’on soit concerné ou non par la maladie de Crohn. Car l’auteure y évoque sans détours de nombreux sujets qui peuvent parler à un public plus large : ses moments de désespoir, la douleur de ses proches, les hauts et les bas de ses rapports avec l’hôpital et le monde médical, son combat de tous les jours pour mener une vie normale. Mais Ma Crohn de vie, c’est aussi, et surtout, un message d’encouragement à "profiter de chaque instant", livré par une jeune femme qui se sent aujourd’hui "bien dans sa poche".
>> Ma Crohn de vie, Juliette Mercier, Éditions Leduc Graphic, 240 p., 2021, 20 EUR.
“Les gens ont envie de s’adresser à quelqu’un qui a une expérience de la maladie”
Entretien avec Juliette Mercier
En Marche : Ce livre est-il celui que vous auriez aimé lire il y a quelques années ? L’avez-vous écrit pour aider les personnes qui traversent ce que vous avez vécu ?
Juliette Mercier : Oui, au départ, je l’ai vraiment écrit pour les autres. Autant pour les personnes qui sont atteintes de la maladie de Crohn, que pour informer celles qui ne la connaissent pas. J’avais envie de montrer ce que sont les coulisses de la vie quotidienne d’une personne malade, et de briser un peu les tabous, parce que la maladie de Crohn est une maladie dont il est parfois difficile de parler. En racontant ça, je voulais aussi que les gens se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls, qu’il y a des moments difficiles, mais qu’il y a aussi de l’espoir.
EM : C’était déjà votre démarche avant l’écriture du livre, à travers les illustrations que vous postez sur Instagram en tant que @stomiebusy ?
JM : Oui, ça faisait deux ans que j’étais sur les réseaux sociaux, et ma première démarche était vraiment d’aider les personnes qui avaient une stomie (1) et la maladie de Crohn. Parce que moi, quand j’ai dû me faire opérer, j’ai cherché sur les réseaux sociaux et je n’ai trouvé que des témoignages très difficiles de gens pour qui ça ne se passait pas bien. Et je me suis dit qu’il était temps que quelqu’un qui le vit bien s’exprime aussi, pour montrer le bon côté des choses, dédramatiser certaines situations et essayer de rassurer ceux qui cherchent des réponses.
EM : Et ça marche ? Est-ce qu’il arrive que des gens vous contactent ?
JM : Oui. Très souvent des personnes malades me contactent soit pour avoir des conseils, soit simplement pour discuter, parce qu’elles ont envie de parler avec quelqu’un qui vit la même chose qu’elles. Je reçois aussi des messages de proches de personnes malades qui cherchent à savoir, sans leur faire passer un interrogatoire, ce qu’ils peuvent faire pour les aider. Je ne m’attendais pas à trouver tant de bienveillance et de solidarité sur les réseaux sociaux. Il y a un vrai besoin. Les gens cherchent des réponses en dehors de leur entourage. Ils ont envie de s'adresser en quelque sorte à un "patient expert". Des infirmiers et des médecins m’écrivent aussi pour savoir ce que j’aurais aimé que les professionnels de la santé me disent, quels conseils je n’ai pas reçus, et comment ils peuvent s’améliorer.
EM : Votre rapport avec le monde médical n’a pas toujours été facile...
JM : Au début de mon diagnostic, il y a eu une période assez courte, de mes 15 ans à mes 18 ans, assez confortable parce que j’étais suivie par mon médecin de famille. Je vivais encore chez mes parents et je me laissais porter. En revanche, à partir de 18 ans, j’ai quitté le cocon familial pour faire mes études et je me suis confrontée seule au monde médical. Je me suis tournée vers un médecin que je n’ai vu qu’une fois et je suis rentrée dans des protocoles expérimentaux où j’avais vraiment l’impression d’être un cobaye. Il y avait une espèce de rapport de soumission, parce que j’estimais que le personnel médical et le professeur étaient supérieurs, savaient très bien ce qu’ils faisaient, et qu’ils n’avaient pas besoin de me tenir au courant. Je n’étais pas active, je subissais autant la maladie que les traitements. Ça m’a découragée, j’ai d’ailleurs arrêté les traitements pour voyager.
EM : Et puis à votre retour de voyage, les choses ont changé...
JM : J’ai rencontré le médecin qui me suit toujours. J’ai eu l’impression d’être au même niveau que lui. On était égaux, on agissait ensemble pour ma santé. Quand j’arrivais dans son cabinet, la première chose qu’il faisait, c’était me demander comment j'allais. Je disais "ça ne va pas du tout, et vous ?". Puis il me racontait sa petite vie : ses collègues, sa femme, ses déménagements. Il y avait un rapport un peu amical, un échange. Je ne venais pas que pour me plaindre. Ensuite il m’exposait les solutions, et puis il me disait : "Qu’est-ce que vous voulez faire ?". J’avais toutes les solutions en main, les explications, la hiérarchie des antidouleurs, etc. Et je lui disais : "Je veux essayer ce traitement expérimental, cet antidouleur". Ca m’a rendue actrice de ma santé. J’avais vraiment l’impression qu’on bossait en équipe avec l’objectif de la rémission. C’était valorisant et je me sentais à ma place, écoutée, concernée et active dans ce suivi médical. Encore aujourd’hui d’ailleurs, on s’écrit des mails pour se donner des nouvelles, sans forcément parler de la maladie. Je lui raconte mes vacances. Je vais le voir pour lui présenter mon livre.
EM : Pensez-vous que vos dessins et votre livre peuvent contribuer à faire évoluer les relations entre les patients et le monde médical ?
JM : Oui, je l’espère. Beaucoup de médecins ont envie d’évoluer et s'intéressent au côté psychologique et humain. C’est vrai que c’est quelque chose qu’ils n’apprennent pas ou peu pendant leurs études, qui est un peu occulté, mais qui est essentiel parce qu’ils ont un rapport avec des gens en souffrance, en difficulté. Cela évolue positivement et c'est une bonne chose que la personne soit prise en compte dans sa globalité. C’est pareil pour les infirmières. Beaucoup m’écrivent parce qu’elles ont terminé leurs études sans savoir grand-chose de la stomie. Elles apprennent sur le tas et me demandent ce que je peux conseiller comme matériel, la manière d'aider la personne qui se sent démunie aussi.
EM : Et vous, dessiner vous a-t-il aidée à faire face à la maladie ?
JM : Finalement oui. Je pensais avoir accepté toutes les épreuves et digéré tout ça. Mais en écrivant certains chapitres, je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment le cas. Notamment le chapitre où je suis à l’hôpital, après mon opération. J’ai eu beaucoup de complications, je pensais que j’allais mourir. Mon père avait arrêté de travailler pour être à mes côtés tous les jours. Cet épisode, je l’avais accepté sans vraiment l’accepter. Le réécrire a été une forme de thérapie. Cela m’a permis de revoir tous ces événements et de me dire, avec le recul, que j’en tire quelque chose de positif.
Vivre avec la maladie de Crohn
La maladie de Crohn est une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) qui concerne environ 26.000 personnes en Belgique. Il s’agit d’une maladie auto-immune qui peut toucher tout ou partie du tube digestif et qui traverse toutes les couches de la paroi intestinale. Ses symptômes et son traitement dépendent de la gravité de la maladie et de la localisation de l’inflammation, qui varient fortement d’une personne à l’autre. Le recours à la stomie - intervention chirurgicale qui consiste à retirer la partie d’intestin malade et à créer un orifice artificiel pour l’évacuation des selles - est rare et parfois provisoire. Mais même sous ses formes plus légères, la maladie de Crohn a un impact important sur le quotidien des patients. Des associations ont été créées pour les informer, défendre leurs intérêts et favoriser la rencontre et la solidarité entre eux. C’est le cas de l’ASBL Crohn-RCUH, qui co-édite le guide pratique Vivre avec une maladie inflammatoire de l’intestin (2019).
>> Plus d’infos : mici.be