Rose ou bleue, notre matière grise ?
Nombre de "neuromythes "sur le sexe du cerveau ont été déconstruits. De là à conclure que les cerveaux masculins et féminins seraient parfaitement identiques ? La question divise.
Publié le: 22 septembre 2023
Par: Sandrine Warsztacki
3 min
Photo: © AdobeStock - Le sexe du cerveau
On dit souvent que les femmes auraient un esprit intuitif et les hommes logique, pour ne citer que ces quelques clichés. Le cerveau, siège de notre pensée, serait-il, à l'instar d’autres parties plus banales de notre anatomie, un organe sexué ?
Qui de l'œuf ou de la poule (ou du coq) ?
Des différences peuvent effectivement être constatées. On observe, par exemple, davantage de connexions au sein de chaque hémisphère chez les hommes tandis que le réseau de fibres reliant les hémisphères serait plus dense chez les femmes. À la naissance toutefois, les études ne relèvent aucune différence au niveau des fonctions cognitives (mémoire, attention, etc.). Est-ce parce que les mamans babillent davantage avec leurs filles que celles-ci se mettent à parler de manière plus précoce, ou parce qu'elles auraient été génétiquement programmées en ce sens ? Le cerveau nait inachevé et se développe sous l'influence de nos gènes, nos hormones, mais aussi, notre environnement et notre expérience.
Difficile de déterminer la part de l'inné ou de l'acquis dans ce processus. Mais on sait aujourd'hui que la plasticité cérébrale, longtemps sous-estimée, joue un rôle central tout au long de la vie. On observe, par exemple, que la zone cérébrale associée à la navigation spatiale grossit chez les chauffeurs de taxi! Par ailleurs, les stéréotypes de genre peuvent aussi peser sur les performances. Les filles réussissent mieux un exercice visant à reproduire de mémoire un dessin géométrique complexe quand celui-ci est présenté comme une épreuve artistique plutôt que de mathématiques, montre une expérience.
Ni différent ni le même ?
Statistiquement, certains traits dominent chez les hommes ou chez les femmes. Pour une neurobiologiste comme Catherine Vidal cela ne signifie pas pour autant que ces caractéristiques se cumulent de manière à établir une différence fondamentale de nature entre les cerveaux masculins et féminins. Elle illustre son propos par un exemple fictif dans lequel les caractéristiques A, B, C (écrites en majuscule) seraient dominantes chez les femmes et a, b, c (en minuscule), chez les hommes. Quelles seraient les chances de prédire la personnalité d'un rendez-vous mystère en ayant pour seule info qu'il s'agit d'une femme ? Vous pourriez tomber probablement sur un profil ABc, aBC ou AbC. Mais les chances de croiser un profil Abc, aBc, abC, voire, abc, ne seraient pas négligeables. Par ailleurs, un cerveau aBC, plus féminin sur le papier, se rapprochera davantage d'un cerveau aBc étiqueté masculin, que d'un cerveau abC féminin. CQFD ?
Ces travaux ont contribué à tordre le cou à certaines idées reçues : les femmes ne sont pas moins capables de conduire, que les hommes de faire deux choses à la fois ! De là à conclure que nos cerveaux seraient indifférenciables, pour d'autres scientifiques, c'est aller trop loin. Des chercheurs militent depuis des années pour que les différences hommes-femmes soient mieux prises en considération dans la recherche médicale afin d'offrir à chacun et chacune un traitement mieux adapté. Il ne faut pas confondre trouver des différences et justifier des discriminations, rappellent ces détracteurs.
Les neurosciences est un univers en expansion et le cerveau reste une terra incognita qui cache encore bien des mystères. En attendant, les scientifiques s'accorderont sur ce point: les hommes ne viennent pas plus de Mars que les femmes de Vénus!
Un terreau pour les biais
Plus de 5.600 études comparant les cerveaux en fonction du sexe ont été publiées ces 25 dernières années. Si de nombreux travaux concluent à des différences, beaucoup aussi n'en trouvent pas, relève la neurobiologiste Catherine Vidal. Mais –c'est un phénomène également étudié par les neurosciences– les informations qui confortent nos préjugés ont davantage tendance à retenir notre attention (biais cognitif de confirmation). Et les préjugés, quand on parle de sexe, ce n’est pas ce qui manque...