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La perte d’autonomie, c’est dur. Exprimer son désarroi ou sa frustration et malgré tout envisager l’avenir, c’est possible. Dans le Brabant wallon, la MC organise des groupes de soutien pour les personnes concernées en partenariat avec Altéo et le Réseau 107 BW.
Publié le: 26 août 2025
Par: Clotilde de Gastines
7 min
Photo: Photo : ©Grégory Dallemagne
"Les personnes qui perdent leur autonomie en veulent parfois à la terre entière. Elles se sentent incomprises ou rejetées et peuvent même devenir irascibles avec la personne qui les aide au quotidien", relate Caroline Elias, responsable de l’action locale de la MC du Brabant wallon.
Si les groupes de soutien destinés aux aidants proches existaient déjà, des volontaires de la MC ont décidé d’innover en créant des espaces de parole spécifiques pour les personnes aidées. Le but est notamment d’apaiser la relation aidant-aidé et surtout de permettre aux principaux concernés de "cheminer ensemble pour se sentir mieux". Cinq cycles de 5 séances ont déjà eu lieu à l’automne 2024 et au printemps 2025 à Nivelles, Court-Saint-Étienne et Jodoigne.
Annette, Élisabeth, Didier, Francis, Christiane et Liliane se sont ainsi retrouvés au mois de mai et juin tous les 15 jours à la MC de Court-Saint-Étienne dans un cadre bienveillant. Pour En Marche, les organisatrices et des participants ont accepté de témoigner a posteriori de cette expérience, dans le respect des échanges et des personnes.
Pour évoquer leur situation individuelle — le groupe mêlait les générations et les degrés de perte d’autonomie — et formuler leurs aspirations, les participants ont été accompagnés par Agathe Crespel, psychologue clinicienne du Réseau 107 BW. Celle-ci anime de nombreux groupes thérapeutiques dans le BW en utilisant le psychodrame, "une technique issue du théâtre de la spontanéité qui permet de rendre vivant ce dont on parle", précise la praticienne.
Sculpter sa perte d'autonomie et ses ressources
Lors d’une des séances, les participants ont été invité à façonner deux sculptures de tissus distinctes pour symboliser leurs pertes et leurs ressources. "Au centre du cercle de parole que nous formions, se trouvaient deux chaises et une montagne de foulards, décrit Annette, une des participantes. On pouvait en choisir un et le déposer sur la première chaise." Annette a choisi un tissu multicolore et l’a déposé pour qu’il paraisse flotter "sans aucune contrainte. Malgré mon grand âge et mes handicaps, je garde, toujours, la joie de vivre. Il faut savoir regarder, s'émerveiller, donner... et ne rien attendre en retour", raconte-t-elle par mail, car elle est malentendante et s’exprime plus aisément à l’écrit.
En déposant elle aussi une étoffe de couleur, Christiane, 80 ans, a voulu matérialiser le fait qu’elle “souffre d'un phénomène de rétrécissement”. “Je rencontre moins de gens, et comme mes réflexes diminuent, je ne conduis plus”. Ce qui la limite fortement dans ses déplacements, alors même qu’elle est aidante pour son fils et son frère.
Didier, 56 ans, le plus jeune du groupe, a choisi un foulard “gris et terne, le plus sombre”. Il souffre d'une forme “assez violente” de fibromyalgie. Des douleurs chroniques invalidantes affectent son quotidien au point qu’il ne peut pas maintenir une position statique, assise ou couchée durant plus de 20-30 minutes. Il est obligé de chronométrer chacune de ses occupations (puzzle, lecture, jardinage) pour anticiper l’impact sur son corps.
Compenser la perte d'autonomie, vital mais éreintant
Les personnes en perte d’autonomie adoptent de manière plus ou moins consciente des stratégies de compensation. Pour réaliser la deuxième sculpture, chacun a expliqué la manière dont il mobilise des ressources en répondant à la question : “Qu'est-ce qui fait que malgré tout cela vous êtes venu jusqu’ici ?” Didier n’a pas hésité une seconde. Il a attrapé un foulard gris un peu plus clair et lancé : “Sortir de chez moi et me changer les idées”. Pour ne pas tourner en rond, cet ancien magasinier et grand cycliste amateur enseigne bénévolement la sécurité routière aux enfants qui roulent à vélo. “Ça donne du sens à ma vie depuis que je suis en maladie, même si quand je rentre chez moi je suis épuisé et perclus de douleur”.
Liliane, dynamique octogénaire, apprivoise progressivement sa perte d’autonomie. Sa voisine lui a appris à prendre les transports en commun. "Je n'aurais jamais imaginé que c’était possible pour moi de prendre le bus pour aller jusqu'à Bruxelles !", s’exclame celle qui a pourtant l’aventure dans la peau. Tous les étés, elle randonnait en montagne en solitaire pendant que son mari pêchait à la mouche en contrebas dans la rivière. Christiane, elle, a choisi de souligner sa chance d’avoir encore du monde autour d’elle, des amis. Quand d’autres participants ont évoqué leur envie de rencontrer d'autres personnes pour retrouver de l’énergie, en englobant les foulards des autres dans le leur.
Des cartes et une lumière au bout du tunnel
Caroline Elias constate que "les participants à ces groupes de soutien ne viennent pas chercher des réponses toutes faites, ils partagent et donnent aussi beaucoup dans le groupe." Des astuces notamment.
Liliane qui parlait de sa nostalgie des cimes a ainsi appris grâce à un autre participant qu’un lieu culturel de Court-Saint-Étienne organisait des soirées photo thématiques autour de récits de voyage, ce qui pourrait lui permettre de voyager par procuration. Christiane a découvert la possibilité offerte par Altéo de réaliser des trajets adaptés hors des rendez-vous médicaux. "Le but du groupe n'est pas de créer des groupes d'amis mais des environnements qui donnent envie de faire des rencontres ou de rejoindre des mouvements comme Énéo, l'Université des aînés ou des groupes du réseau 107 BW, de gym douce, ou autre", explique Agathe Crespel.
Plusieurs participants ont aussi réalisé qu’ils vivaient des difficultés semblables en manipulant des cartes imagées sur le thème du cheminement. "Cette séance a permis de créer la discussion sur ce que chacun souhaite ouvrir ou refermer dans sa vie, et les sentiers qu’il souhaite emprunter", décrypte la psychologue.
Deux participants se sont retrouvés dans une carte "avec un tunnel très sombre et une lumière minime tout au bout, observe Didier. Le monsieur atteint d'Alzheimer est retombé sur ma carte. Sa maladie, comme la fibromyalgie ne se voit pas. On se retrouvait assez dans la vie l'un de l'autre, notamment notre agacement quand les gens nous disent qu’on pourrait sûrement faire un petit effort, mais la douleur, comme la mémoire, ça ne se commande pas !"
Des échanges intenses au sein du groupe de soutien
Annette retient de ces séances, le sentiment d’avoir été accueillie dans la simplicité et un cadre de confiance. La psychologue a répété à voix haute et distinctement les propos des participants pour qu’elle puisse entendre des bribes et lire sur les lèvres. Ses efforts ont fait impression sur le groupe.
"Je trouvais ça très intéressant d'aborder la perte d'autonomie par le côté psy, dit Liliane. Chacun a ses paquets à porter qui sont plus ou moins lourds, mais tout le monde était très digne et très lucide sur ses problèmes. Ça a créé beaucoup d’émotion en moi et leur courage m’a fort marqué", précise-t-elle.
Les ateliers avaient eu lieu en tout début d’après-midi pour "permettre à chacun de repartir vers 14h30. En soirée cela aurait été un peu trop fort en émotion, car on ne sort pas de ces expériences d'atelier indemne", constate Christine Martin, bénévole d’Altéo qui joue le rôle d’observatrice aux côtés de la psychologue pour s’assurer que chaque participant réussisse à prendre sa place. Elle assure aussi le réassort en paquets de mouchoirs pour sécher les larmes.
"Quand quelqu'un prend la parole dans le groupe, on écoute mais on se sent aussi parfois impuissant", note Christiane en qui les séances résonnaient fort. Après l’atelier, elle dessinait beaucoup "comme si les interactions dans le groupe se prolongeaient par la suite" et s’exprimaient de manière cathartique sous son crayon. Signe que malgré la charge émotionnelle, la mise en commun nourrit l’inspiration.
En pratique
L’accès se fait sur inscription et la participation est rendue gratuite et accessible grâce au remboursement de l’Inami.
Les prochains ateliers autonomie auront lieu dès le 12 décembre à Orp Jauche et en janvier à Court-Saint-Etienne.
Toutes les infos sur : mc.be/agenda
Caroline Elias, Responsable action locale du Brabant wallon