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En Belgique, 4 % des personnes atteintes de démence sont âgées de 30 à 64 ans. Entre errance diagnostique et manque de structures de soins adaptées, la prise en charge de ces patients reste largement insuffisante.
Publié le: 26 août 2025
Par: Florence Marot
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Photo: ©AdobeStock
Troubles de la concentration, changement de personnalité, anxiété, difficultés à effectuer les gestes simples du quotidien comme utiliser la machine à café ou rédiger un mail… Lydie Amici se souvient des premiers signes apparus chez l’un de ses proches, alors âgé de moins de 50 ans. "Au départ, les médecins ont attribué ces symptômes au stress, à la fatigue. Personne ne pensait à une maladie neurodégénérative", raconte-t-elle. Pourtant, malgré le repos, la situation ne s’améliorait pas. Il faudra attendre cinq ans de consultations médicales pour que le diagnostic tombe enfin : la maladie d’Alzheimer. Le choc est brutal. "Ça a été un véritable bouleversement pour cette personne, mais aussi pour sa famille", témoigne Lydie Amici.
En médecine, on parle de démence précoce lorsque les premiers symptômes apparaissent avant l’âge de 65 ans. En cause : "Des maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer, la dégénérescence du lobe fronto-temporal ou encore la maladie
à corps de Lewy", détaille Bernard Hanseeuw, neurologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc et professeur à l’UCLouvain. Certaines formes peuvent être héréditaires. "Elles sont alors dues à une mutation génétique, qui peut être détectée par des tests. Le risque de transmission est de 50 % à chaque génération", précise-t-il. Dans d’autres cas, ces maladies sont dites polygénétiques, c'est-à-dire influencées par un grand nombre de gènes. "Tous les gènes ne peuvent pas être testés. Mais pour les enfants, le risque de développer la maladie reste inférieur à 50 %", poursuit le neurologue.
En règle générale, plus les symptômes débutent tôt, plus l’origine génétique est probable. À l’inverse, plus l’âge d’apparition est avancé, plus les facteurs "environnementaux" (comme l’hypercholestérolémie, le diabète, le manque de sommeil, l'isolement social...) sont susceptibles de jouer un rôle.
Illustration: ©Yasmine Gateau
En Belgique, quelque 7.300 personnes de 30 à 64 ans seraient atteintes d’une forme de démence précoce, selon un rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), publié début 2025. Cela représente environ 4 % de l’ensemble des cas de démence. Mais ces chiffres restent des estimations : seule la Flandre dispose aujourd’hui de statistiques précises et d’un parcours de soins adapté.
En Wallonie et à Bruxelles, "c’est le désert", regrette Lydie Amici, qui a fondé le collectif "Auguste et les autres" pour faire entendre les besoins spécifiques de ces patients. "Lorsque la démence frappe tôt, l’impact n’est pas le même. L’individu concerné est encore actif : il travaille, a souvent des enfants aux études, un ou plusieurs emprunts à rembourser, des projets d’avenir, des parents vieillissants…", expose-t-elle.
Bien souvent, ces personnes souhaitent continuer à travailler le plus longtemps possible pour préserver leurs revenus, mais aussi pour conserver un sentiment d’utilité. Des aménagements peuvent parfois être envisagés au travail, mais ce n’est pas toujours possible. Au moment du diagnostic, certains sont déjà en incapacité de travail, ont été licenciés ou ont perdu leurs clients.
La démence entraîne inévitablement une perte d’autonomie. "Il ne s’agit pas que de mémoire, avance Lydie Amici. Il y a toute une série de symptômes connexes, comme des difficultés pour se laver, s’habiller, préparer un repas..." Une prise en charge dès le début de la maladie s’avère alors cruciale pour permettre au patient de rester vivre à domicile le plus longtemps possible.
Olivia Ghysens est neuropsychologue à la Clinique de la mémoire de Saint-Luc. Au nombre d’une douzaine en Belgique, ces cliniques "offrent un accompagnement multidisciplinaire à des personnes souffrant d’une maladie neurodégénérative au stade débutant", souligne-t-elle. À Saint-Luc, 20 % des patients ont moins de 65 ans.
Ces patients ont droit à 10 séances de réhabilitation cognitive de plus que leurs aînés, soit 35 au total, remboursées dans le cadre d’une convention avec l’Inami. "L’objectif est de retarder le moment où la situation va se dégrader, explique Olivia Ghysens. Nous partons des capacités restantes du patient pour travailler sur des situations de la vie quotidienne. Par exemple : utiliser un agenda, un aide-mémoire, un GSM ou un ordinateur, mémoriser un trajet... Tout dépend des besoins." Un accompagnement est également prévu pour soutenir les aidants proches.
Selon une étude française menée auprès de 653 patients suivis pendant deux ans, cette prise en charge individualisée serait plus efficace que certaines thérapies de groupe. Les résultats suggèrent un meilleur maintien de l’autonomie et un report moyen de six mois de l’entrée en institution.
Néanmoins, tous les patients ne bénéficient pas pleinement de ce programme. Certains ne sont jamais dirigés vers une clinique de la mémoire. D’autres doivent interrompre le parcours avant la fin. Et pour ceux qui vont jusqu’au bout, "il n’y a rien de prévu par la suite", reconnaît la neuropsychologue. Lorsque la perte d’autonomie s’aggrave ou que la charge devient trop lourde pour les aidants proches, le patient est orienté vers un centre de jour pour personnes âgées ou une maison de repos, des structures pourtant mal adaptées à cette situation.
Au nord du pays, la prise en charge est nettement différente. Dès 2010, la Flandre a mis en place un "plan démence", axé sur la prévention et la qualité des soins. Un centre d’expertise a été créé. Et des structures spécifiques existent pour les patients jeunes, avec des activités de jour et des hébergements adaptés.
En Belgique francophone, l’absence de parcours de soins coordonné complique dramatiquement la vie des patients. "Le retour des familles est unanime : les médecins et professionnels de soins de santé ne sont pas suffisamment outillés", affirme Lydie Amici. Sans compter les difficultés psychologiques et matérielles rencontrées par les aidants proches, dont les besoins restent insuffisamment rencontrés.
Dans son rapport, le KCE pointe d’ailleurs l’urgence de créer un trajet de soins cohérent : détection précoce, accompagnement multidisciplinaire, continuité des soins, soutien renforcé aux aidants proches, hébergements adaptés… Les défis sont nombreux.
En avril dernier, le Sénat a adopté une proposition de résolution relative à la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. Le texte appelle à l’élaboration urgente d’un plan national interfédéral structurant les soins. La reconnaissance de la démence précoce figure parmi les enjeux soulevés. Reste à voir quelles suites concrètes seront données à cette résolution.