Incapacité de travail
Instrumentalisée par les alcooliers, l'hypothèse selon laquelle une consommation modérée aurait un effet protecteur pour le cœur est battue en brèche.
Publié le: 03 janvier 2024
Par: Sandrine Warsztacki
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Photo © AdobeStock: La science - ne définit pas de seuil à partir duquel il n'y a aucune toxicité..
Malgré les preuves contraires qui s'accumulent, l'idée "qu'un verre de vin par jour serait bon pour le cœur" perdure dans notre imaginaire, comme dans nombre d'articles "santé" en ligne… Tout commence dans les années 80 avec la publication d'une étude dans laquelle des chercheurs s'interrogent sur les raisons pour lesquelles les Français mouraient moins d'infarctus malgré une alimentation riche en graisses animales. Le secteur viticole s'en saisit aussitôt - décrypte l'association Addictions France - pour distiller ses propres idées : les Français ont un bon cœur, les Français boivent du vin, c'est que le vin doit être bon pour le cœur ! En 1991, le médecin Serge Renaud (accessoirement petit-fils de vigneron…), publie une étude qui expliquerait le "french paradox" (terme forgé par l'industrie elle-même) par l'effet antioxydant des polyphénols du raisin. Les scientifiques qui exploreront la question auront beau faire preuve d'une certaine prudence, rappelant que les liens entre santé et alimentation sont complexes, l'industrie tient son slogan. Dans la foulée, des études sortent pour prouver que l'on pourrait attribuer les mêmes vertus à la bière, au whisky…
Si l'alcool est reconnu pour augmenter les risques cardiovasculaires, l'effet pourrait-il vraiment s'inverser avec une consommation modérée? Le message soutenu en coulisse par les alcooliers est d'autant plus facile à avaler que l'on aurait envie d'y croire. Le hic, c'est que l'analyse a posteriori des études qui le prouvaient révèle de sérieux biais méthodologiques. Et, si l'effet antioxydant des polyphénols du vin a bien été observé in vitro (en laboratoire), les connaissances récentes montrent que la majorité de ces molécules ne passent pas la barrière intestinale.
Les études mises en avant par les alcooliers se basent sur une comparaison entre des groupes de non-buveurs et de buveurs modérés. Le souci, c'est que les groupes soi-disant abstinents comportaient souvent d'anciens buveurs, ayant parfois même arrêté de boire pour raisons de santé... En retirant ce biais, les non-buveurs ont bien une meilleure santé. Aujourd'hui, les études sur l'alcool vont jusqu'à prendre en compte les facteurs génétiques pour obtenir des comparaisons les moins biaisées possibles.
En 2018, The Lancet publie une des plus vastes études menées sur la question. Plus de 1.800 chercheurs et chercheuses ont analysé les données de 28 millions de personnes dans 195 pays. Leur verdict : non seulement il n'existe aucun effet protecteur de l'alcool à faible dose, mais un verre par jour suffit à augmenter les risques de développer un des 23 problèmes de santé associés à l'alcool. "Les gens ne sont pas qu'un cœur. On oublie que l'alcool est un des principaux fournisseurs de cancers après le tabac", rappelle le docteur Thomas Orban, coauteur de "Alcool, ce qu'on ne vous a jamais dit". Dans un communiqué publié en janvier, l'OMS estime que, selon les dernières données disponibles, la moitié des cancers attribuables à l'alcool dans la région européenne sont causés par une consommation minime ou modérée (moins de 1,5 litre de vin par semaine) !
Faut-il pour autant prôner la plus stricte abstinence ? "La science aujourd'hui ne définit pas de seuil à partir duquel il n'y a aucune toxicité. La seule chose que l'on puisse dire, c'est qu'un verre par jour, c'est un seuil à moindre risque. Ce risque dépendra aussi d'autres facteurs, liés au mode de vie et aux caractéristiques personnelles." La liberté de choisir, argument si cher au lobby alcoolier quand il s'agit de défendre ses produits, n'existe que quand elle se fonde sur une information qui n’est pas manipulée...