Difficile d'avoir un toit, malgré la loi
Vouloir ou devoir changer de logement ne garantit pas d’en trouver un. Surtout si vous bénéficiez d'allocations sociales, si vous êtes racisé ou porteur d'un handicap. Ces discriminations, plus présentes dans le secteur du logement, ne sont pas sans impact sur la santé mentale.
Publié le: 19 juin 2023
Par: Soraya Soussi
7 min
Photo: © AdobeStock
Six mois. C'est le temps qu'a mis Valéry pour trouver un logement. Après avoir obtenu un CDI en tant que cuisinier pour le CPAS de Forest, à Bruxelles, le jeune homme de 29 ans souhaite déménager pour prendre un appartement plus spacieux. Après plusieurs semaines sans réponses, il demande à une collègue avec un nom "flamand" de postuler aux mêmes annonces. "Elle a tout de suite eu des propositions de rendez-vous. Je me suis rendu avec elle à l’un d’eux. Arrivée sur place, elle a précisé que la candidature était pour moi. Quand la propriétaire m’a vu, elle a fait une drôle de tête." S’ensuit des échanges de messages ouvertement discriminants que Valéry décide de signaler auprès d'Unia, le centre interfédéral belge pour l'égalité des chances qui contacte à son tour la propriétaire. Cette dernière campe sur ses positions. "Elle ne veut pas d’un étranger au CPAS chez elle". L’organisme acte les faits de discrimination, preuves écrites à l'appui et entame une poursuite en justice.
Selon Unia, le secteur du logement est celui qui connaît le plus de discriminations. Le type de revenus, l'origine et le handicap sont les critères les plus souvent relevés comme motifs de plaintes. Pourtant, il existe en Belgique une loi anti-discrimination depuis 2003 qui punit pénalement les discriminations fondées sur base de critères comme l'âge, la couleur de peau, la nationalité, le sexe, l'orientation sexuelle, la conviction religieuse ou philosophique, le handicap, la fortune, l'état de santé, la composition de démange, etc.
Des profils "vulnérables"
En 2022, 717 signalements de discriminations relatifs au logement dont 257 dossiers suivis ont été référencés par Unia. Le critère le plus sujet aux discriminations porte sur l'état de fortune (45 % des dossiers suivis), viennent ensuite les critères raciaux (36 %) et enfin, ceux touchant au handicap (15 %). C'est à Bruxelles, l'une des villes les plus densément peuplées, que les signalements sont les plus nombreux. (1) "Ces chiffres pourraient certainement être bien plus élevés. Unia n'est pas connu par tout le monde. Certaines personnes discriminées ne savent même pas qu'elles peuvent porter plainte et qu'il existe une loi", déplore Anaïs Lefrère, chargée de signalements dans le secteur du logement chez Unia.
À Molenbeek, cette situation est bien connue des travailleurs de la maison de quartier Bonne Vie dont l'objectif est de défendre l'accès au logement des habitants du quartier de la commune bruxelloise. "Les personnes que nous accompagnons sont toutes précarisées et c'est en majeure partie pour cette raison qu'elles sont discriminées par les propriétaires ou les agences", confirme Joaquim Da Fonsca, chargé de mission chez Bonne Vie.
Les discriminations ne sont pas sans effets sur la santé mentale. "Outre le fait de ne pas trouver de logement, les personnes qui en sont victimes développent du stress, de la fatigue, un manque d'estime et une dévalorisation de soi, un sentiment d'être rejeté par la société, etc.", confirme Michaël Josz du service de protection chez Unia.
Sélectionner oui, discriminer non
En tant que propriétaire, il semble légitime de pouvoir choisir un locataire "fiable" qui agira en bon gestionnaire de famille, paiera le loyer à temps et respectera le bien loué. Si le propriétaire a le droit de s'en assurer, selon la loi il ne peut en aucun cas demander la nature des revenus de la personne. "Des propriétaires ou des agences immobilières précisent sur leurs annonces 'CPAS s’abstenir', 'CDI exigé'. C’est totalement illégal", martèle Anaïs Lefrère. Sélectionner ne veut pas dire discriminer. "En vertu de la liberté contractuelle, le propriétaire est libre de fixer les conditions objectives de la location ou de la vente de son bien. Une personne peut dès lors être écartée pour des raisons légitimes, si le propriétaire ou l'agence respecte la loi." (2)
Des prix inabordables
Plusieurs phénomènes expliquent les discriminations persistantes malgré la loi : le marché locatif immobilier connaît non seulement une flambée des prix des loyers mais il est également inadapté à la situation socio-économique actuelle de la population. Une étude publiée par le Rassemblement bruxellois pour le droit à l'habitat (RBDH) explique la crise du logement en ville : "Depuis le début des années 2000, l’évolution des revenus stagne comparée à l’augmentation continue du coût du logement." En 10 ans (2009 – 2019), le prix des logements a augmenté de 30 % à Bruxelles. Entre 2017 et 2021, notamment suite à la crise sanitaire, l'augmentation des prix était de 22 % ! "Il s’agit donc d’une crise de l’accès au logement (crise du logement abordable) : la quantité de logements produits est suffisante mais est inaccessible pour la majorité des familles." (3)
Pour Joaquim Da Fonsca, l'offre des logements ne répond pas à la demande. Il faudrait qu'il y ait plus de logements sociaux, quand on sait que le délai d'attente est de 10 à 20 ans. "L' État belge doit aussi intervenir davantage dans l'encadrement du marché immobilier, en plafonnant les prix des loyers par exemple, car se loger est un besoin, un droit fondamental qui doit être protégé et accessible."
Le travailleur social rappelle dans la foulée que les discriminations peuvent concerner n'importe qui..."Le travailleur non issu de l'immigration, non racisé, ou à l'aise financièrement n'est pas à l'abri de se retrouver lui-même en incapacité de travail, travailleur à temps partiel ou bénéficiant d'allocations sociales. La solidarité entre citoyens, au sein de la société civile est de mise dans le contexte économique dans lequel nous sommes !"
Une approche préventive
Des formations auprès des agences immobilières sont organisées par Unia. "Pour l'instant, elles sont dispensées sur base volontaire mais, dans le cadre du plan régional de lutte contre le racisme à Bruxelles, nous plaidons pour qu'elles deviennent obligatoires dans toutes les formations au métier d'agent immobilier", précise Anaïs Lefrère.
La Wallonie s'est également attelée à un plan régional d'action de lutte contre le racisme (2023 – 2026) qui comprend des mesures anti-discriminations dans l'accès au logement : "instauration de contrôles mystères, une formation spécifique pour les agents immobiliers (...); la création de points de signalement locaux et diffusion d'une meilleure information sur la législation anti-discrimination pour améliorer l'accompagnement des victimes." (4)
Aujourd'hui Valéry a retrouvé un logement grâce à une connaissance. "Je ne sais pas où je serais si on ne m'avait pas aidé. C'est aussi pour cela que j'ai envie d'aller au bout de ma plainte, même si c'est fatiguant et loin d'être gai de devoir être confronté à cette personne. C'est important de rappeler aux gens que des lois existent et ne pas les laisser dans l'impunité !"
Prouver qu'il y a délit de discrimination
Si vous êtes victime de discrimination (dans le logement ou autre), vous pouvez contacter Unia. Mais attention, il faut tout de même amener sur la table des éléments qui démontrent le fait.
Lorsqu'une personne contacte Unia pour dénoncer un fait de discrimination, elle doit pouvoir prouver ce dernier afin de garantir un suivi de son dossier. "Nous recevons de nombreux signalements de discriminations pour lesquels nous ne pouvons rien faire. Nous ne sommes pas habilités à enquêter. Nous pouvons simplement contacter la partie adverse pour avoir sa version des faits. Mais sans preuve, ce sera la parole de l'un contre celle de l'autre", précise Anaïs Lefrère.
Avec ses partenaires associatifs, le centre pour l'égalité des chances a récemment mis en place un service d'orientation psychologique pour les victimes qui font appel à Unia, mais qui n’ont pas de preuve suffisante pour ouvrir un dossier.
Unia a également développé des outils et conseils en ligne pour prouver un fait de discrimination. Par exemple, par téléphone, l'institut conseille d'appeler avec son nom, de poser sa candidature et d'enregistrer l'appel. Le même jour, de demander à un proche ou un collègue avec un nom à consonance "belge" de faire de même et d'enregistrer également la conversation. Si la réponse est différente, il suffit de conserver la preuve et de faire appel à Unia.