Politiques sociales

Remettre le soin au cœur de la société

Avec Caruna, la MC lance un vaste débat sur l’avenir du "prendre soin" dans notre société. Une réflexion à laquelle chacun, chacune est invité à prendre une part active. 

Publié le: 23 mai 2025

Mis à jour le: 23 mai 2025

Par: Valentine De Muylder

7 min

Illustration montrant des personnes construisant brique par brique une croix, symbole des soins de santé

Illustration: © Adrien Herda

Il y a cinq ans, en pleine période de crise sanitaire, nous avons été nombreux à applaudir chaque soir le personnel soignant et à rêver du "monde d’après" . Un monde qui verrait plus loin que le bout de son nez, bien déterminé à ne pas reproduire les erreurs du passé. Qu’en est-il aujourd’hui de ces réflexions ? Et si on reprenait le fil de ces rêves pour les mettre en commun et construire ensemble une vision d’avenir pour les soins ? 

C’est l’ambition de Caruna, un processus participatif initié par la MC et qui se veut ouvert à toutes les personnes concernées de près ou de loin par les soins : citoyens, experts, organisations de la société civile… Après une vaste consultation publique, un panel de vingt experts issus de différents secteurs santé, social, culture, solidarité internationale, environnement…) analysera les contributions reçues afin d’en dégager les messages clés et de formuler des propositions. Celles-ci seront affinées lors d’un sommet qui permettra d’aboutir à un agenda pour l’avenir. 

Les soins, une valeur fondamentale 

Partant du constat que notre système de santé est sous pression, et que les soins sont souvent réduits à une question d’efficacité, Caruna invite à repenser les soins comme une valeur fondamentale de notre société. Parmi les cadres de réflexion proposés sur le site caruna.be figure notamment The Care Manifesto, un "manifeste du soin" publié en pleine pandémie par le collectif britannique The Care Collective. Les auteurs et autrices y développent notamment l’idée que nous sommes tous profondément liés et dépendants les uns des autres et de notre environnement, et que les soins sont donc une responsabilité collective. 

Pour aller plus loin, nous avons demandé à trois expertes du panel quel regard elles portaient sur la notion de soin, en fonction de leurs contextes professionnels variés, et quels enjeux leur semblaient essentiels pour envisager la place des soins dans la société de demain.  

Henriette de Robiano 

Ingénieure, co-présidente du Groupe du Vendredi et consultante chez Climact 

"En tant que co-présidente du Groupe du Vendredi, un think tank de jeunes âgés de 25 à 35 ans, et experte en action climatique, j’aimerais porter la voix des jeunes au sein de Caruna tout en attirant l’attention sur l’impact des soins de santé sur le climat, et les manières de l’atténuer.  

Dans notre société, on a tendance à médicaliser très rapidement. Or selon des études, si cette tendance se poursuit, l’impact climatique des soins de santé augmenterait de 62 % d’ici 2050. Plus de la moitié de cet impact est lié, à parts quasi égales, aux produits pharmaceutiques, aux équipements médicaux et aux bâtiments. Dès lors qu’une personne devient un patient, cela génère  une consommation en termes d’énergie, de machines, de plastique, de médicaments, et de toute l’infrastructure qu’il y a autour…"  

La prévention, c’est bon (aussi) pour la planète 

" Je ne pense certainement pas qu’il faut supprimer les soins de santé ! Mais il faut trouver un juste équilibre. Et pour ça, la prévention est super importante. Cela passe par l’alimentation, par le sport, mais aussi par le fait de permettre à chacun d’évoluer dans un environnement sain, sans PFAS dans l’eau par exemple.  

C’est un cercle vertueux : un environnement et un mode de vie sain contribuent à diminuer la consommation de soins de santé, et donc leur impact climatique. Cela implique d’avoir une vision holistique, globale de l'humain et de l'environnement dans lequel il se trouve. Et d’accepter une certaine forme d’imperfection, ou de vieillissement, sans vouloir à tout prix tout corriger de manière artificielle ". 

Béatrice Theben 

Ergothérapeute à domicile (Ergo 2.0) et vice-présidente de l’Union Professionnelle des Ergothérapeutes 

"Je travaille comme ergothérapeute dans une asbl qui favorise une approche de proximité, de quartier. Nous proposons un suivi à domicile à des personnes fragiles ou en situation complexe, souvent âgées, avec des maladies chroniques ou neurodégénératives (Alzheimer,…). Notre approche pluridisciplinaire mêle un suivi ergo, un soutien psychologique, si nécessaire du case management, une gestion coordonnée des différents besoins médico-sociaux de la personne, et une solution technologique de téléassistance. 

Je suis passionnée par mon métier et très attachée à la logique de soins intégrés, et plus particulièrement à la philosophie du goal oriented care (GOC), qu’on traduit en français par aide et soins orientés sur les objectifs de la personne (Ascop). L’idée est de permettre à la personne de définir elle-même ce qui fait sa qualité de vie et de pouvoir accepter ses choix en proposant des actions réalistes, sans décider ou faire à sa place ce qu’elle peut encore faire."  

Des soins centrés sur l’humain 

"Rester à l’écoute de l’humain et des personnes fragiles est pour moi un enjeu d’avenir essentiel. En tant qu’ergothérapeute, travailler l'autonomie, en partant des besoins, des demandes de la personne ou de l'aidant, fait partie de notre ADN. On n'est pas là pour traiter un 'Monsieur amputé' ou une 'Madame hémiplégique'. On aide d’abord une personne.  

Dans notre métier on rencontre beaucoup de gens qui vivent seuls. L’isolement peut avoir une incidence sur les maladies ou le décès. Le contact social est un des piliers de la santé. Nous cherchons  à favoriser le lien social, le fait d’être attentif à son voisin, d’aller lui dire bonjour de temps en temps... En ce sens, la prévention est importante. Tout comme la coordination entre les différents maillons de la chaine de soins à domicile : les médecins, les infirmières à domicile, les assistantes sociales, les aides familiales…." 

Milèna Chantraine 

Secrétaire générale de la Plateforme francophone du volontariat 

"Le volontariat est un acte libre, gratuit et tourné vers autrui, qui bénéficie à la collectivité. C’est donc, en soi, une manière de prendre soin des autres.  

En Belgique, 8 % de la population a une activité bénévole, et chacun à sa manière prend soin de notre société et de notre quotidien. Certains bénévoles sont actifs dans les hôpitaux, les maisons de repos… D’autres rendent visite à domicile, aident les gens à se rendre à leurs rendez-vous, prennent soin des personnes plus fragilisées, apportent une aide médicale hors des hôpitaux, aux personnes en situation migratoire ou sans chez soi. Plus largement, on peut penser aux bénévoles qui militent pour l’accessibilité des soins, ou qui s’impliquent dans les loisirs, le sport, la culture, l’environnement, l’école de leurs enfants… À condition d’être un acte choisi et motivé par l’envie d’aider les autres ou de défendre une cause, le volontariat peut être bénéfique pour la personne qui s’implique. Mais il peut aussi être une source de fatigue et de stress. C’est pourquoi il est important d’accompagner et de soutenir les bénévoles, d’en prendre soin ".  

Se mettre en action ensemble 

"J’aimerais que les mots 'action', 'collectif' et 'sens' résonnent davantage encore dans la société de demain. Pendant la crise sanitaire et sociale, lors des inondations, ou au début de la guerre en l'Ukraine, on a vu à quel point l’envie de se mettre en action pour servir l'intérêt général était présente dans l'humain. C'est rassurant de voir les vagues de personnes qui se mobilisent après des catastrophes, ou de manière quotidienne dans les associations. Ça montre que cette volonté est là. Il faut juste arriver à la capter.  

Ces vagues de mobilisation prouve qu’il y a une volonté d’agir ensemble. Mais il ne faut laisser personne sur le côté. Si on regarde les chiffres du volontariat, aujourd’hui, on voit que les hommes sont plus présents que les femmes dans les fonctions dirigeantes, ou que les personnes qui n’ont pas de diplôme s’engagent moins. Je rêve que le volontariat soit un espace accessible à toutes et à tous, moins stéréotypé, avec une diversité de profils. 

Enfin, pour que le volontariat garde son sens, il est important de garantir qu’on ne fasse pas appel aux bénévoles pour pallier des pénuries ou un désinvestissement de l'État, en particulier dans le secteur des soins et de la santé."