
Incapacité de travail
Entre les voitures, les travaux, les notifications du téléphone, la musique diffusée en continu dans les cafés et magasins... le silence, pourtant essentiel à notre bien-être, est devenu une denrée rare. Et si l’on profitait de l’été pour partir à sa recherche ?
Publié le: 03 juin 2025
Par: Julie Luong
6 min
Photo: ©AdobeStock
Selon l’OMS, en Europe, les pollutions sonores représentent aujourd’hui la deuxième cause de maladies liées à des facteurs environnementaux, juste derrière la pollution atmosphérique. "Les effets du bruit sur la santé sont de deux types, explique Jean-Laurent Simons, expert au service bruit de Bruxelles Environnement. Il y a d’abord les effets auditifs avec des dégradations possibles au niveau de l’oreille. Ceux-là sont les plus irréversibles, avec des pertes d’audition mais aussi des acouphènes. D’un autre côté, il y a les effets sur le sommeil, le stress, la concentration, la santé cardiovasculaire..."
Un rapport de 2020 de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) estime ainsi que 20 % de la population européenne est exposée à des niveaux de bruit de longue durée préjudiciables à sa santé. L’Observatoire du bruit en Île de France a pour sa part montré que dans l’agglomération parisienne, les nuisances sonores entraînaient en moyenne une perte de 10,7 mois de vie en bonne santé. "Il existe essentiellement trois sources de pollution sonore : les transports, les installations techniques (ventilateurs, hottes...) et l’activité de la ville ( bruits de voisinage, les terrasses..)", détaille Jean Laurent Simons Une directive européenne prévoit d’ailleurs que toutes les grandes villes se dotent d’une proportion minimale de "zones calmes". "À Bruxelles, c’est la forêt de Soignes qui joue ce rôle de poumon de calme", détaille Jean-Laurent Simons. Mais certains quartiers restent "carencés" en silence.
Le bruit ambiant est un facteur de stress important pour le cerveau humain. Comme le souligne Michel Le Van Quyen, chercheur à l’Inserm et auteur de "Cerveau et silence. Les clés de la créativité et de la sérénité", "l’oreille ne possède pas de paupière, de sorte que ce sens est toujours actif, même pendant le sommeil." L’avantage est que l’ouïe peut nous alerter de jour comme de nuit en cas de danger. "Mais nous payons aujourd’hui le prix de cet avantage primitif : un bruit de fond, même modéré mais permanent, épuise notre cerveau car il l’empêche de baisser sa garde", explique Michel Le Van Quyen. Les environnements bruyants tendent en effet à provoquer chez l’humain (comme chez l’animal) de l’irritabilité et de l’anxiété car pour traiter ces masses d’informations auditives, l’organisme sécrète davantage de cortisol, l’"hormone du stress". Une étude réalisée sur des enfants ayant contracté une bronchite a ainsi montré qu’un niveau de bruit supérieur à 53 dB (soit légèrement plus que le bruit de la pluie) pendant la nuit déclenchait une augmentation anormale du cortisol le matin, associée à une baisse des défenses immunitaires et à une aggravation de l’infection. Une autre étude révèle que les capacités de mémoire et de lecture des élèves d’une école de Munich avaient significativement diminué après la construction d’un aéroport à proximité de l’établissement. Ce constat a été confirmé par une vaste étude réalisée sur 2.000 enfants dans 90 écoles aux alentours des aéroports de Londres, Madrid et Amsterdam : non seulement il a été démontré que l’exposition au bruit diminuait les performances scolaires, mais aussi qu’elle était associée à une augmentation du risque de dyslexie.
"Paradoxalement, les gens incommodés par le bruit s’en protègent souvent à l’aide de sons, observe Michel Le Van Quyen. Écouteurs et casques pullulent de nos jours dans les transports en commun, jusque dans les bibliothèques." Une pratique qui permet de se recréer une bulle sécurisante mais qui, en plus de pouvoir endommager l’oreille interne, a tendance à nous déshabituer du silence et à nous couper de la "petite voix" qui nourrit notre vie intérieure... Pour ce spécialiste du cerveau, le silence est étroitement lié à l’équilibre psychique et à la créativité. C’est grâce à lui que nous pouvons à nouveau "nous entendre penser". Mais où et comment le trouver dans le brouhaha quotidien ? "Nul besoin de se retirer au fond d’une grotte ou dans un monastère perché au sommet d’une montagne : une simple promenade en forêt suffit", encouraget- il. En effet, le silence dont il est question ici n’est pas une absence totale de sons, mais un silence émaillé des "microbruits" du vivant : craquements de branches, bruissements de feuilles, bourdonnements d’insectes, chant des oiseaux... Au Japon, la pratique du "bain de forêt" a démontré des effets durables sur la santé cardiovasculaire et immunitaire (lire le dossier "La nature sur prescription" ). Une autre étude a montré qu’une cure au vert de quelques jours permettait d’augmenter de 50 % la performance dans la résolution de problèmes complexes. La rêverie ou le "vagabondage mental" favorisé par le silence de la nature permet en effet au cerveau de se livrer à des associations d’idées auxquelles il n’a pas accès quand il est surstimulé. "Il y aurait une sorte de levée de l’inhibition des fonctions exécutives, comme si le sujet abandonnait l’autocensure dont il ait preuve habituellement afin de laisser libre cours à sa créativité", résume Michel Le Van Quyen. Plutôt que de fuir le silence, nous avons donc toutes les bonnes raisons de partir à sa recherche... et de tendre l’oreille à de nouvelles idées.
L’oreille humaine perçoit les sons entre 0 (seuil d’audibilité) et 120 dB (seuil de douleur). Une valeur de 40 dB correspond au calme d’un musée et 100 dB au bruit de la circulation automobile. Le seuil de risque pour l’audition est situé à 85 dB. Une exposition à ces niveaux élevés, par exemple en écoutant fréquemment et sur de longues périodes de la musique à haut volume, le bruit aura tendance à endommager l’oreille.
L’oreille interne est en effet composée d’un certain nombre de cellules dites "ciliées" : grâce à leurs "cils", ces cellules captent les vibrations sonores et les transforment en signaux électriques que le nerf auditif transmet au cerveau. À la naissance, nous possédons environ 20.000 cellules de ce type, un capital non renouvelable qui diminue avec l'âge.
Les lésions de l’oreille interne sont irréversibles. Elles peuvent provoquer des acouphènes (bourdonnements ou sifflements dans les oreilles), une fatigue auditive (augmentation du seuil d’audibilité) et, à long terme, une perte d’audition.
Selon des projections de l’OMS, une personne sur quatre dans le monde aura des problèmes d’audition d’ici à 2050. En raison de pratiques d’écoute intensive, plus d’un milliard de jeunes adultes (50 % des personnes âgées de 12 à 35 ans) risquent une déficience auditive permanente.
L’expérience du silence total n’est presque jamais possible sauf à entrer dans une chambre dite sourde ou "anéchoïque", à savoir une pièce où l’insonorisation est maximale, grâce à des parois constituées de dièdres (forme géométrique) en mousse ou fibre de verre, qui absorbent les ondes sonores et suppriment les échos. L’expérience est parfois décrite comme angoissante, car elle amène à percevoir les sons provenant de l’intérieur du corps comme les battements de coeur, le flux de l’air dans les poumons, les gargouillis intestinaux... Ce qui tendrait à laisser penser que, même dans une chambre sourde, le silence total n’existe pas.