
Incapacité de travail
Dans nos vies urbaines, où le béton domine et les journées s’enchaînent derrière les écrans, le contact avec la nature devient rare… Pourtant, la science le prouve : il est essentiel à notre santé mentale et physique.
Publié le: 19 mai 2025
Par: Barbara Delbrouck
8 min
Photo: © Adobe Stock // On le sent instinctivement, la nature nous fait du bien. Mais c'est aussi prouvé scientifiquement…
Le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, l'odeur puissante de la forêt, la lumière jouant à cache-cache à la cime des arbres, la chaleur du soleil sur la peau… On le sent instinctivement, la nature éveille nos cinq sens et nous fait du bien. C’est une évidence : l'homme vit en lien étroit avec elle depuis des millions d'années ! Mais dans nos sociétés modernes, où la ville gagne toujours plus de terrain et où l’on passe nos journées entre quatre murs, ce lien s'est fortement appauvri… À tel point qu'on doit réaffirmer des réalités simples et pousser celles et ceux qui ont perdu l'habitude ou l'accès à la nature, à renouer ce contact pour leur bien-être physique et mental. Certains soignants commencent à l'intégrer dans leurs pratiques de soins et prescrire à leurs patients de passer du temps dans la nature (voir nos articles p.10 et 12). C'était le sujet du colloque "Soins verts" organisé par l'asbl Therra et soutenu — entre autres — par la MC. Mais pas besoin d'être "malade" pour avoir besoin de nature. Pour rester en bonne santé, le lien au vivant est un précieux allié.
Depuis les années 1980, la recherche s’est penchée sur les liens entre nature et santé. Aujourd’hui, la littérature scientifique foisonne et les preuves s’accumulent : le contact avec un environnement naturel agit positivement sur notre organisme. Les bénéfices sont multiples : physiologiques (ralentissement du rythme cardiaque, baisse de la tension artérielle), cognitifs (meilleure concentration, mémorisation, créativité…), mais aussi psychologiques, avec une réduction du stress, de l’anxiété ou encore des ruminations mentales. Une vaste étude épidémiologique aux Pays-Bas a même montré que les personnes vivant entourées de verdure présentent un taux de mortalité plus faible, avec une moindre prévalence d'une quinzaine de maladies comme le diabète, l'hypertension ou encore les troubles de l'anxiété et la dépression, où la corrélation était particulièrement forte.
Alors, pourquoi la nature nous fait elle tant de bien ? "En deux siècles, notre environnement a totalement changé du vert au gris. Après des millions d'années en synchronie avec le vivant, c'est bien trop peu pour que notre cerveau s'adapte à ce nouvel espace de vie artificiel", souligne le neuroscientifique Michel Le van Quyen dans son livre "Cerveau et nature". Ordinateurs, smartphones, circulation… Dans nos modes de vie urbains et hyperconnectés, notre cerveau est sollicité en permanence, pointe le chercheur de l'Inserm. La nature nous offre des occasions de le mettre sur "pause"... Pour rester performant, celui-ci a besoin d'alterner entre phases de concentration — très énergivores — et de repos, explique-t-il. Dans la nature, nous sommes entourés de stimuli naturels moins intenses, comme les légers mouvements des branches ou les couleurs changeantes des feuillages. Ils captivent notre esprit sans l'épuiser, dans une "fascination douce" propice à la récupération. Cette "théorie de la restauration de l'attention", développée par deux chercheurs américains, permettrait aussi d'expliquer pourquoi la nature aide à calmer les ruminations, ces pensées en boucle négatives qui nous fatiguent. En captant spontanément notre attention par sa beauté et l'éveil de nos cinq sens, elle nous aide à décrocher de notre "petit vélo mental". Une recherche de l’Université de Stanford a d'ailleurs montré qu’une balade en forêt d’une heure réduit l’activité du cortex préfrontal médian, une zone du cerveau hyperactive lors des ruminations.
Michel Le Van Quyen, neuroscientifique à l'Inserm
Si les effets y sont décuplés, pas besoin d'un "bain de forêt" pour bénéficier des bienfaits de la nature. Un parc, une place avec quelques arbres ou des bacs de plante sur une terrasse peuvent déjà offrir un espace de calme où se ressourcer. Même un simple coup d'œil sur un arbre par la fenêtre ! Dès 1984, une étude américaine a révélé que les patients hospitalisés récupéraient plus vite lorsqu'ils avaient vue sur un arbre plutôt que sur un mur de briques. Ils avaient besoin de moins de médicaments antidouleur et pouvaient quitter l'hôpital plus tôt. Ce constat a été confirmé par de multiples expériences, montrant que la vue de la nature, même sous forme de posters, a un impact positif. Face à ces constats, de plus en plus d'hôpitaux, de maisons de repos ou de centres de santé mentale repensent leurs locaux et commencent à se doter de "jardins thérapeutiques", pour offrir aux patients un espace de répit et organiser des activités en lien avec le vivant.
Alors que plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, réintroduire la nature dans nos quotidiens urbains est un défi de taille. Outre les bénéfices déjà cités, créer des ilots de verdure aide à lutter contre la chaleur, les inondations, la pollution de l'air et sonore… Un véritable champ de recherche se développe pour concevoir des villes plus respectueuses de notre besoin viscéral de nature. La règle "3-30-300" préconise que chaque habitant puisse voir 3 arbres de chez lui, que son quartier soit couvert à 30 % de végétation et qu'il vive à maximum 300 mètres d'un espace vert. On en est loin… Si on se penche sur la carte des zones vertes dans les villes, on voit que l'accès à la nature y est devenu un luxe, réservé aux plus aisés. À Bruxelles, par exemple, les zones les moins vertes — aussi les plus polluées et les plus chaudes en été — coïncident avec les quartiers à faibles revenus. Certaines communes tentent de verduriser. Mais à la clé souvent, une flambée de l'immobilier et le risque de faire fuir les publics précarisés... Les enjeux de sécurité et de respect de la biodiversité doivent également intégrer la réflexion autour de ces politiques urbaines.
Aujourd’hui, le lien au vivant est parfois si ténu qu'une immersion en pleine nature peut déstabiliser. "Lors d’activités avec des adolescents citadins, nous avons observé qu’ils se sentaient plus à l’aise avec des bacs potagers en ville", partage Anne-Claire Orban, de l’asbl Therra, qui propose des ateliers d’éveil à la nature pour des publics fragilisés. La plupart des enfants passent plus de temps entre quatre murs que leurs parents et grands-parents à leur âge… Dans son livre "Last Child in the Woods", le journaliste américain Richard Louv a popularisé le concept de "trouble du déficit de nature". Sur base des recherches et d'interviews, il établit un lien entre le manque de contact avec la nature chez les enfants et l'augmentation des troubles de l’attention, de l’obésité et de l’anxiété. Son ouvrage a déclenché un mouvement international militant pour un accès régulier des enfants à des espaces naturels, essentiels à leur développement. C'est aussi dans l'enfance que se forge le lien émotionnel à la nature. La recherche montre que les expériences précoces influencent le sentiment de connexion et le temps qu'on y passe à l'âge adulte. Quel que soit l'âge, l'éveil à la nature pousse en outre à des comportements protecteurs à son égard. D’où l'urgence de ré-éveiller la population à sa beauté et ses bienfaits…
Dans les années 1980, face aux cas de "karoshi" (mort par surmenage), le Japon a intégré les bains de forêt (shinrin-yoku) dans ses recommandations de santé publique, puis a créé des forêts thérapeutiques. De multiples études ont montré depuis que l'immersion en forêt, comparée à une activité équivalente en ville, fait baisser significativement la pression artérielle, la fréquence cardiaque et le taux salivaire de cortisol (hormone du stress).
En 2021, une grande revue de la littérature, axée sur la robustesse des études, a confirmé des effets probants sur le bien-être psychologique : réduction du stress, diminution de l'anxiété, amélioration de l'humeur… Se promener en forêt soutient la santé mentale et devrait, selon les auteurs, être considérée comme un levier de santé publique. Mais pas besoin d'enlacer les arbres ou de s’inscrire à des ateliers onéreux pour en obtenir les bienfaits ! Une marche silencieuse, contemplative, à l'écoute de ses cinq sens, suffit. Un contre-pied bienvenu à notre mode "pilote automatique", le nez rivé à l'écran.
Gregory N. Bratman et al. Nature and mental health: An ecosystem service perspective. Sci. Adv
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Bratman &al., Nature experience reduces rumination and subgenual prefrontal cortex activation. Proc Natl Acad Sci U S A. 2015
Ulrich RS. View through a window may influence recovery from surgery. Science. 1984
Kate E. Lee &al. 40-second green roof views sustain attention: The role of micro-breaks in attention restoration,Journal of Environmental Psychology, 2015
Kellstedt &al., influences of outdoor experiences during childhood on time spent in nature as an adult. ajpm focus. 2024
Antonelli &al. (2021). Effects of forest bathing (shinrin-yoku) on individual well-being: an umbrella review. International Journal of Environmental Health Research
Le livre "Cerveau et Nature" de Michel Le Van Quyen contient aussi de nombreuses références d'études scientifiques.