Santé mentale

S'informer sans s'épuiser

Dans un monde hyperconnecté, où l’actu défile en continu, une véritable "fatigue informationnelle" s’installe et touche de plus en plus de personnes. Et si le défi était aujourd’hui de s’informer moins, mais mieux ? 

Publié le: 26 juin 2025

Mis à jour le: 27 juin 2025

Par: Valentine De Muylder

7 min

Photo montrant une jeune femme en train de lire sur son smartphone

Photo: © AdobeStock - 4 personnes sur 10 se déclarent "épuisées par la quantité d’informations"

Tels des messagers survoltés, nos smartphones, ordinateurs, tablettes et autres objets connectés nous bombardent sans arrêt de nouvelles: de nos proches, de notre travail, de nos rendez-vous, du temps qu’il fait… Et de l’état du monde. Cette hyperconnexion exerce une influence profonde sur nos vies, y compris sur notre rapport à l’information. De plus en plus de personnes se sentent en effet stressées, voire épuisées, face à une exposition désormais continue à l’actualité.  

4 personnes sur 10 

Selon une enquête menée en 2024 dans près de cinquante pays par l’Institut Reuters (1), environ 4 personnes sur 10 se déclarent "épuisées par la quantité d’informations". Face à cette surcharge, elles se sentent "submergées" et "confuses". La même proportion déclare éviter "souvent ou parfois" de s’informer, évoquant un traitement "répétitif et ennuyeux" de l’actualité, mais aussi sa "nature négative" génératrice d’un sentiment d’anxiété et d’impuissance. Ces tendances sont en hausse, précise encore l’enquête internationale.  

Olivier Luminet, professeur de psychologie des émotions et de la santé à l’UCLouvain et directeur de recherche au FNRS, s’intéresse de près à l’émergence de ce phénomène de "fatigue informationnelle", qu’il décrit comme "le sentiment d’être dépassé, voire inondé par la quantité d’informations, essentiellement de nature négative, qui nous parvient, et tout ce que cela entraine comme stress et comme émotions". 

En Marche : Cette fatigue est-elle liée à la manière dont on s’informe aujourd’hui ? 

Olivier Luminet : Le développement des smartphones et des alertes d’actualité — auxquelles on s’abonne parfois sans s’en rendre compte — fait que quand les gens ouvrent leur téléphone, ils sont automatiquement exposés à des informations potentiellement anxiogènes. Avant, on avait la possibilité de décider des moments où on s’informait. Maintenant, l’information vient s’imposer, il est difficile d’y échapper.  

EM : Au point, parfois, de nous rendre 'accros' à l’info ? 

OL : Certaines personnes ressentent effectivement le besoin d’être toujours au courant. L’environnement y est propice. À l’occasion de certains événements, de nombreux médias passent dans un mode d’information en continu, avec des mises à jour constantes, parfois peu pertinentes. Cela encourage les gens à aller voir toutes les dix minutes si quelque chose s’est passé et contribue à leur fatigue informationnelle. 

EM : Vous évoquez également le rôle joué par la "nature négative" de l’info…  

OL : Oui, notamment à travers la manière dont l’information est présentée. Il peut y avoir une tendance à mettre en évidence des termes émotionnels négatifs, liés à la peur par exemple, pour attirer l’attention. Certains médias utilisent cela comme une technique commerciale pour augmenter les clics. Il y a là un mécanisme qui n’est pas très sain au niveau de la santé mentale. 

EM : Certaines personnes sont-elles plus à risque ? 

OL : Les personnes qui sont déjà d’un naturel anxieux seront plus attentives aux informations potentiellement négatives. Les jeunes, qui n’ont connu que ce mode d’information en continu, pourraient également y être plus vulnérables que des gens qui ont connu d’autres manières de s’informer.  

EM : Comment reconnaitre la fatigue informationnelle ? Quels en sont les signes ? 

O.L. : Il est important de préciser d’abord qu’il ne s’agit pas d’un diagnostic officiel, mais d’un phénomène observé. Cela englobe le fait d’être tellement connecté aux médias qu’une réaction anxieuse se produit. Ensuite, soit on reste dans un état d’anxiété très élevé, avec un impact négatif sur le moral et l’humeur, soit on se déconnecte complètement et on ne veut plus du tout suivre l’actualité, ou les informations liées à un sujet en particulier (la guerre, la crise climatique…). C’est une stratégie d’évitement destinée à faire retomber l’anxiété. On l’a vu avec le Covid : à un moment donné, certaines personnes ont décidé de ne plus suivre du tout l’actualité liée à la pandémie. Au risque de se couper d’informations importantes…  

EM : Comment sortir de ce 'tout ou rien' et arriver à s’informer sans s’épuiser ?  

OL : Je conseillerais de limiter le nombre de fois par jour où on s’informe, et de se donner le temps de le faire. Y consacrer quelques minutes entre deux réunions est sans doute le pire, parce qu’on ne retiendra que les éléments les plus frappants et les plus anxiogènes. Mieux vaut s’accorder un vrai moment, par exemple le matin et le soir, pour comprendre et analyser ce qui s’est passé. 

Je recommande aussi de choisir des sources d’information qui permettent une prise de recul, et d’éviter les alertes et les ‘fils info’ dominés par l’émotion brute. On ne voit pas l’actualité de la même manière quand on lit un article de réflexion ou d’analyse. On a déjà quelque chose d’un peu différé, à travers le regard d’un ou une spécialiste. Cela aide à traiter l’émotion et à relativiser.  

E.M. : Choisir l’info plutôt que la subir… 

O.L. : Avant, on avait plus souvent une information analysée. Entre le moment où on lisait son quotidien et le lendemain, du temps s’écoulait. Quand l’information nous arrivait, elle avait déjà été en partie digérée. Maintenant, nous sommes beaucoup plus exposés à de l’information immédiate. Il faut sortir de cet empressement constant et se dire qu’être le premier à apprendre une nouvelle n’est pas forcément utile. 

Il est en tout cas important de s’accorder des moments de claire déconnexion. Ce n’est pas évident dans notre environnement où l’information est partout, mais c’est bénéfique. On a besoin à certains moments de penser à autre chose pour préserver sa santé mentale. 

(1) "Digital News Report", Reuters Institute for the Study of Journalism, 2024. 

Un enjeu démocratique 

 

De plus en plus de personnes de toutes les classes sociales et de tous les âges se détournent de l’information, constate une étude réalisée en France en 2024 par l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), la Fondation Jean Jaurès et Arte (1). Ce déclin d’intérêt pour les médias touche tous les canaux… sauf les réseaux sociaux. En cause, une fatigue informationnelle grandissante, qui va de pair avec une impression de confusion et de défiance. La moitié des personnes interrogées avoue par exemple avoir du mal à distinguer le vrai du faux, et plus d’un quart se montre perméable aux théories du complot. 

Les auteurs tirent la sonnette d’alarme : "Cet ‘exode informationnel’ soulève de sérieuses inquiétudes quant à la santé de notre démocratie et à la capacité de nos concitoyens à prendre des décisions éclairées, à mieux comprendre le monde et à s’y engager activement." 

Au cœur de la guerre de l’attention 

"Le recul nécessaire pour trier, hiérarchiser et donner un sens à ce qui est vraiment important disparaît sous cette avalanche de données", note encore l’étude. Qui ajoute que les médias sont engagés dans "une compétition sans merci pour la ressource rare qu’est l’attention". Au risque de jouer sur les mêmes codes que les émissions de divertissement, les séries et les réseaux sociaux, et donc d’"orchestrer une information qui vise à attirer et capter l’attention, plutôt qu’à réellement informer". 

Ne nous y trompons pas, concluent en substance les auteurs de l’étude : derrière la fatigue individuelle, c’est bien d’un "problème collectif" qu’il s’agit, un "problème démocratique puisque l’information est censée contribuer à l’émancipation de chacun". Parmi les recommandations qu’ils formulent à l’attention des politiques et des médias figure celle de "sortir du flux permanent. Revenir à une logique de programmation. Avec un début, un milieu, une fin".  

Voilà une autre piste toute simple dont on peut s’inspirer au quotidien pour prendre soin de sa santé mentale sans renoncer à celle de nos démocraties : revenir à des sources d’information (articles, émissions, podcasts…) qui ont une fin. Comme l'article que vous venez de parcourir… 

(1) "Les Français et la fatigue informationnelle", Observatoire Société et Consommation, Fondation Jean Jaurès, Arte, 2024