
Incapacité de travail
S’inspirant de la Nouvelle-Zélande, une maison médicale de Sprimont propose des prescriptions de nature à ses patients. Reportage.
Publié le: 21 mai 2025
Par: Clotilde de Gastines
7 min
Photo: © Frédéric Raevens // Brahim, Yohan, Nathalie et Sophie observent l’étonnante structure d’une fleur de pissenlit qui forme un bouquet en soi.
Sendrogne, au Sud de Liège. Les averses du matin ont laissé place à un temps ensoleillé. Yohan, Brahim, deux patients d’une maison médicale de Sprimont et Nathalie, une assistante sociale de Liège, retrouvent Sophie Bartholomé, guide nature pour une randonnée de 4 km.
"Je suis crevé, j’ai dormi trois heures", souffle Yohan, 54 ans, qui travaille de nuit comme infirmier en psychiatrie. Malgré la fatigue, il ne raterait la balade pour rien au monde, tant cela fait désormais partie de son nouvel équilibre de vie.
En octobre dernier, il était arrêté depuis presque trois mois pour un burn out, quand son médecin généraliste du Centre de santé intégrée des Carrières (CSIC), une maison médicale de Sprimont lui a proposé un traitement pas comme les autres : une prescription de nature.
Présentée sous la forme d’un carnet d’une cinquantaine de pages, elle s’inspire des Green prescriptions qui existent en Nouvelle-Zélande depuis la fin des années 90. La démarche part du postulat que le fait de passer deux heures dans la nature par semaine, par tranche de 20 minutes minimum, est bon pour la santé.
Le prescripteur est un des professionnels de la maison médicale : médecin généraliste, psychologue, kiné ou infirmière en santé communautaire, et une référente nature assure le suivi pendant deux mois.
Brahim
Si la proposition du médecin surprend Yohan de prime abord, il affirme aujourd’hui qu’elle est arrivée "au bon moment. J’étais en rechute, les bouffées d’angoisse me poussaient à me replier sur moi-même, alors que j’allais devenir grand-père. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que j’aurais pu remonter la pente en m’appuyant seulement sur les médicaments et la psychothérapie."
Le carnet propose 8 semaines d’activités individuelles et collectives, dont une randonnée nature tous les mois. À la sortie du village, Sophie annonce le thème du jour au pied d’un grand tilleul : l’identification des jeunes pousses comestibles. Elle cueille quelques feuilles fraîches sur un rejet et détaille ses bienfaits alimentaires. Avec l’ortie, le tilleul est le seul végétal qui apporte des protéines complètes, il peut se consommer frais, en salade, ou séché en décoction et en farine.
Brahim s’enthousiasme. "J’aime bien apprendre. Et surtout, je suis content de sortir de chez moi, de voir du monde. Sinon, je patauge, à cause du chômage, des galères, et de mes problèmes de santé mentale." Cet électromécanicien qui adore le plein air, est d’ailleurs le patient zéro des prescriptions de nature du CISC et le premier "marcheur" de Sophie.
En mai dernier, il a reçu le carnet, avec "tout le package d’activités", précise-t-il, qui vont des balades ornithologiques ou historiques, aux excursions avec l’équipe de la maison médicale, en passant par la méditation pleine conscience. Contrairement à Yohan qui n’a "pas trop accroché” à la méditation, Brahim a suivi tout le cycle : "il faut s’accrocher, mais ça m’a fait du bien. Finalement, être serein, ça s’apprend." Et même si la prescription s’est arrêtée au bout de deux mois, il poursuit toutes les marches de Sophie depuis.
Yohan
La guide, Sophie Bartholomé, elle-même patiente du CISC, a participé à la conception de la prescription avec d’autres patients et Nolwenn Lechien, l’infirmière en santé publique qui a importé ce projet novateur en Belgique.
Architecte de métier, Sophie a vécu un burn out, il y a quelques années et s’est soignée en partie avec la nature, sur les conseils de sa généraliste. Elle a même suivi d’une formation de guide "nature" et de guide "carrière" et met à profit ses jours de repos pour accompagner les patients de la maison médicale. "D’une certaine façon, j’ai envie de rendre ce qu’on m’a donné", confie-t-elle en marchant d’un bon pas sur la petite route qui mène à Blindef.
Au hameau, le groupe oblique dans un chemin bordé de houblon sauvage, qui mène à un vallon couvert de prairies. Sophie glane de l’ail des ours : à ne pas confondre avec le muguet s’il n’est pas en floraison ! L’arrêt est l’occasion de rappeler les précautions à prendre pour éviter d’autres plantes toxiques, en particulier la ciguë, mortelle, qui ressemble fort à la carotte sauvage.
“Observer la nature, même en hiver, a un côté salvateur, on retrouve la régularité des saisons, constate Yohan. Ça fait 25 ans que j’habite à Sprimont et je n’avais jamais fait le tour de mon quartier à pied. Ma routine, c’était la route, le boulot, l’enseignement. Le burn out c’est souvent ça, on s’investit à 1.000 % dans plein de choses et on ne prend plus le temps de s’occuper de soi. Depuis 4 mois, je réinstalle progressivement la nature dans ma vie”.
Nathalie acquiesce. L’assistante sociale vient en repérage, car son équipe aimerait introduire les prescriptions vertes dans leur maison médicale du centre de Liège. Elle-même est en rémission de cancer et s’est beaucoup ressourcée dans la nature.
Selon les habitudes de vie des patients et leurs pathologies, le lien à la nature est plus ou moins fort. D’où la nécessité de réaliser une sorte d’anamnèse en début de prescription. Brahim et Yohan ont donc rencontré Nolwenn Lechien en rendez-vous individuel. Chacun s’est fixé un objectif santé en fonction de ses envies et capacités. Le carnet construit une progression en 8 temps : observer, ressentir, s’émerveiller, intégrer, apprendre, approfondir, se connecter, partager et pérenniser, avec une suggestion d’activité adaptée d’une durée de 30 minutes par jour.
"Ça aide pour savoir ce qu’on peut faire, puis on débriefe régulièrement avec Nolwenn et au bout d’un mois on refait le point avec le médecin", détaille Yohan. Avec Brahim, il a rejoint un groupe de randonnée autonome créé avec d’anciens patients et un encadrant bénévole. Ils se donnent rendez-vous tous les mardis matin, qu’il pleuve ou qu’il vente.
La balade enjambe un cours d’eau et remonte la rue ferreuse, jusqu’à un ancien relais de poste. "C’est beau, maintenant que la nature est sortie, et ça sent fort l’ail des ours", admire Brahim tous les sens en éveil. À l’entrée d’un petit bois, un geai des chênes lance l’alerte. Comme les averses des jours précédents ont rendu le sol boueux, Sophie propose de tourner vers la gauche pour boucler la boucle jusqu’à Sendrogne en restant sec.
De retour au village, un milan noir survole les randonneurs. Sophie propose une collation : eau aromatisée au lierre terrestre, omelette à l’ail des ours, et sirop de fleurs de sureau, en écho aux plantes glanées en chemin. “Pour moi, la nature, c’est la meilleure thérapie !” s’exclame Yohan.
Pour le moment, le CISC indemnise Sophie à hauteur de 10 euros par balade, et chaque participant verse 5 euros. Pour lever des financements et répondre aux demandes de formations et de conseils sur le sujet, l’expérimentation a donné lieu à la création d’une Asbl (baptisé Kodama Px - du nom des esprits de la forêt en japonais). D’ici 2 ans, Nolwenn Lechien espère qu’une dizaine de maisons médicales auront déployé le projet.
Trois heures sont passées. Yohan va tenter de dormir avant de commencer sa garde. Brahim doit passer au magasin de bricolage. Nathalie repart avec mille idées en tête et Sophie programme déjà la prochaine balade. Tous sont certains que la compagnie a autant de valeur, sinon plus, que le chemin parcouru.
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