
Droits du patient
Conscients de ses bienfaits sur la santé physique et mentale, de plus en plus de soignants et travailleurs sociaux mettent sur pied des initiatives en lien avec la nature. Florilège.
Publié le: 19 mai 2025
Par: Barbara Delbrouck
7 min
Photo: © Adobe Stock // J’arrive enfin à mettre mon cerveau en mode off, partage un participant au programme pilote "Soins Verts" : du travail à la ferme, prescrit dans le cadre d'un burn-out.
Trois jours et deux nuits en pleine forêt : c’est l’aventure proposée à des jeunes hospitalisés au centre neuropsychiatrique Saint-Martin à Namur. À chaque séjour, six adolescents partent avec deux encadrants. Cette expérience pilote, qui fait partie du projet européen Forest4Youth, vise à reconnecter les jeunes à la forêt et étudier ses bienfaits sur leur santé mentale. Les participants, âgés de 14 à 20 ans, peuvent souffrir de troubles anxieux, de cyberdépendance, de phobie sociale… Le séjour est préparé en amont, pour apaiser les craintes et apprivoiser l’idée d’une reconnexion à soi, aux autres et à la nature. Après une marche à travers la forêt pour quitter en douceur le milieu hospitalier, les adolescents découvrent leur camp : des hamacs tendus en cercle, où chacun peut rester proches des autres, emmitouflé dans une couverture, serrant parfois un doudou rassurant. Au début, marcher seul dans la forêt peut être angoissant, raconte un encadrant. Ce dispositif crée un espace sécurisant. Les activités alternent entre moments méditatifs et plus actifs, comme couper du bois. Un forestier vient partager sa passion pour la forêt et montrer des gestes utiles à sa préservation. Le soir, un feu de camp est allumé. "Pendant ce séjour, j'ai pu profiter sans mon téléphone et arrêter de stresser constamment", témoigne un jeune. "La forêt m'a apporté une tendresse et une paix que je ne ressens jamais dans la vie réelle", confie un autre. Cela fait du bien aux jeunes… mais aussi aux accompagnants, souligne l’équipe. Le retour à l’hôpital peut parfois être difficile, même si l'expérience reste constructive. Une réflexion est en cours pour adoucir cette transition... Une piste inspirante, alors que la santé mentale des jeunes devient un défi majeur.
Depuis trois ans, les patients du service de santé mentale (SSM) de Beauraing attendent avec impatience le lundi matin. Un bus passe dans les différents villages du coin pour les emmener au centre culturel de Bièvre, où un potager communautaire a été créé. Un éducateur maraîcher anime la séance et deux assistantes sociales du SSM accompagnent. "Au début, seuls les gens qu'on suit depuis longtemps étaient motivés, explique Laura Dierickx, assistante sociale. Mais à présent on sent un engouement général, et un véritable lien s'est tissé entre les participants. Ça fait trois ans que le groupe passe Noël ensemble ! On sent que ces patients, qui sont souvent des personnes très isolées, vont mieux. Et puis il y a un côté méditatif à travailler au jardin. On sort des angoisses, des pensées en boucle, en se concentrant sur les tâches, en se remettant en mouvement... Notre but n'est pas de produire, mais c’est très valorisant pour eux d’obtenir un résultat concret". Lorsque la météo ne permet pas de jardiner, les participants investissent les locaux du centre culturel pour des activités créatives centrées sur la nature. Fabrication de mangeoires à oiseaux, de savons à partir des fleurs du jardin, de pain maison avec un artisan boulanger du village… "C'est juste un retour aux sources en fait : il y a 50 ans, nos grands-parents cultivaient tous leur potager, rappelle l'assistante sociale. Ce lien à la nature s'est rompu… et il est urgent de le recréer".
Depuis longtemps déjà, de nombreuses fermes ouvrent leurs portes à des personnes fragilisées par des difficultés sociales, familiales ou de santé. Non pas pour une visite, mais pour participer à la vie de la ferme, aux côtés des agriculteurs : culture de légumes, soins aux animaux, traite des vaches… De nombreux bienfaits sont observés par les travailleurs sociaux et de santé encadrant ces projets qualifiés d'agriculture sociale. Mais jusqu’ici, on y trouvait peu de personnes en burn-out. Depuis 2023, le Programme "Soins Verts – Groene Zorg" leur consacre un projet pilote : du travail à la ferme, prescrit par un médecin ou un psychologue, dans le cadre d'un arrêt pour épuisement professionnel. L'activité est gratuite, adaptable au rythme de chacun et complémentaire au suivi thérapeutique. Objectif : offrir un nouveau souffle et, peu à peu, regagner assez de confiance pour envisager un retour à l’emploi.
Une étude menée par la KU Leuven évalue scientifiquement les effets de ce "soin vert". Les premiers résultats sont prometteurs : le travail au grand air est perçu comme profondément ressourçant. Loin du bureau ou du canapé, la ferme devient un lieu où l'on reprend racine : semer, récolter, soigner les animaux ranime un sentiment d’utilité mis à mal par l'épuisement et l'arrêt de travail prolongé. Voir pousser ce qu'on a semé est très gratifiant, témoigne un participant. "J'arrive enfin à mettre mon cerveau en mode off", partage un autre. Moins d'anxiété et de ruminations, plus d'énergie, une fatigue saine liée au travail manuel : au fil des jours, beaucoup se sentent reprendre pied. Ils apprécient retrouver un rythme, être autonome dans leurs activités et tisser de nouveaux liens sociaux sans jugement… La plupart estiment que leur expérience à la ferme a renforcé leur capacité à réintégrer le monde du travail, à temps plein ou à temps partiel. Certains ne sont pas prêts à franchir le pas, mais tous se sentent mieux armés pour l'envisager…
L'asbl Terr'Happy insuffle un vent de nature dans les maisons de repos. Elle y crée des jardins thérapeutiques et forme les encadrants à des animations autour du potager. "Nous travaillons souvent avec des personnes atteintes d’Alzheimer ou de Parkinson", explique Laure Bentze, animatrice et formatrice en hortithérapie. "Toucher une plante, la sentir, même en pot, apaise et recentre sur l’instant présent, limitant les ruminations des personnes âgées avec des symptômes dépressifs". Activité souvent pratiquée depuis la jeunesse, le jardinage ravive des sensations oubliées et pousse à se dépasser. "Pour travailler dans le bac potager, certaines personnes se lèvent de leur chaise roulante ou font des gestes dont elles ne se sentaient plus capables, observe l’ortithérapeute. Apprendre quelque chose de nouveau valorise, et donne une perspective : voir germer puis grandir ce qu’on a mis en terre... Lors des animations, jardiner en groupe autour du bac, dans un but commun, pousse les habitants à communiquer. Même pour des personnes très dépendantes, le jardinage crée du lien. "Avec une dame en stade avancé d’Alzheimer, qui a du mal à suivre des consignes et à parler, j'ai proposé que nous bêchions ensemble. Et elle a commencé à me suivre en synchronisation, créant une véritable forme de communication."
En institution ou chez soi, le jardinage favorise le maintien de l’autonomie. Décider où planter, se repérer dans les saisons, choisir les associations de cultures… stimule mémoire et concentration. Travailler la terre favorise l'activité physique, sollicitant l'équilibre, l'endurance, la souplesse… Dans le jardin, c'est aussi la santé et la joie de vivre que l'on cultive !
De plus en plus de soignants intègrent la nature dans leurs pratiques. En avril, un colloque sur les "soins verts", organisé par l'asbl Therra et soutenu – entre autres - par la MC, a suscité un réel engouement. Médecins, infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux… s’y sont retrouvés pour partager ou découvrir des projets inspirants mêlant soin et nature (dont certains présentés ici). Au fil des échanges, plusieurs défis sont apparus : comment financer ces initiatives ? Comment leur donner une vraie reconnaissance institutionnelle ? Comment mieux définir les "soins verts" pour éviter les dérives notamment commerciales, sans mettre à mal la diversité des pratiques ? L'importance d'impliquer des professionnels de la nature, comme les forestiers, a aussi été soulignée. Et un constat récurrent : malgré l'abondance de preuves scientifiques, convaincre les pouvoirs publics du rôle majeur de la nature sur la santé reste laborieux.