Incapacité de travail
En faisant germer des graines conservées depuis plus d’un siècle dans son herbier, le jardin botanique de Meise a ouvert la voie à des recherches surprenantes en matière de "désextinction" de plantes disparues.
Publié le: 19 septembre 2024
Par: Valentine De Muylder
3 min
Photo: Jardin Botanique de Meise // Les banques de graines constituent une ressource plus prometteuse pour la désextinction d’espèces.
Peut-on faire germer des graines conservées dans un vieil herbier ? C’est la question que s’est posée Sandrine Godefroid il y a une dizaine d’années. Chercheuse au jardin botanique de Meise, elle avait à sa disposition un des plus grands herbiers au monde, riche de 4 millions de spécimens (dont le plus ancien vieux de 300 ans !). Une "idée saugrenue", se souvient-elle, car en théorie, la réponse était non : "Quand les graines sont conservées dans des conditions de température et d’humidité ambiante, elles perdent très vite leur pouvoir de germination."
Mais à sa connaissance, l’expérience n’avait jamais été tentée. Alors pourquoi ne pas essayer ? Après avoir sélectionné une série d’espèces disparues de Belgique, la chercheuse et son équipe se sont lancées dans des tests de germination. Et contre toute attente, certains ont réussi ! "Sur la soixantaine d’échantillons, trois ont germé, appartenant à la même espèce (Bupleurum tenuissimum, NDLR). Et ce qui est assez extraordinaire, c’est que c’étaient des échantillons qui avaient plus de 100 ans."
Enthousiasmés par ces résultats, des scientifiques de l’Université de Rome III ont décidé d’approfondir la recherche. C’est ainsi qu’une doctorante italienne s’est rendue dans plusieurs herbiers en quête de graines de plantes ayant disparu à l’échelle mondiale, et a testé différents protocoles de germination dans l’espoir de les "ressusciter". En croisant la liste des espèces végétales éteintes avec celle des graines disponibles dans les herbiers du monde entier, elle a également établi une liste de 161 espèces "candidates à la désextinction".
Cette recherche internationale, à laquelle Sandrine Godefroid a collaboré, confirme ses premières conclusions : "On peut, potentiellement, ressusciter une espèce disparue sur base d’échantillons d’herbier, mais ce ne sera pas fréquent, ce sera plutôt une exception." Bien que fascinantes, ces découvertes restent donc "un peu anecdotiques" pour la botaniste : "On ne va pas refaire Jurassic Park. D’autant plus que si on veut vraiment ressusciter une espèce, il faut idéalement avoir une diversité génétique élevée, parce que c’est ce qui garantit sa survie." Or les échantillons d’herbiers ne contiennent que peu de graines.
Sandrine Godefroid, chercheuse
Sandrine Godefroid, chercheuse
Les banques de graines constituent une ressource plus prometteuse pour la désextinction d’espèces, continue-t-elle. Celle du jardin botanique de Meise contient plusieurs millions de graines conservées dans des chambres climatisées, sous forme de lots fournis, donc diversifiés génétiquement. C’est d’ailleurs grâce à un de ces lots qu’en 2022, Sandrine Godefroid et ses collègues ont pu contribuer à réintroduire en Wallonie la Brome des Ardennes, une graminée typique des champs d’épeautre qui avait totalement disparu depuis les années 1930.
La chercheuse met cependant en garde : "Le risque, lorsqu’on parle de restauration de la nature, c’est que les gens se disent : on peut tout détruire parce qu’on a la capacité de tout réparer." La priorité reste de préserver la biodiversité et de protéger les espèces menacées : "Le plus simple et le moins coûteux, c’est de ne pas détruire la nature. Dès qu’on la perturbe, on rompt toute une série de liens qu’il y avait entre des animaux et des végétaux." Et cet ensemble de liens, qui forme les écosystèmes, est encore bien plus complexe à ressusciter.
Pour en savoir plus sur la préservation de la biodiversité végétale : plantentuinmeise.be