Jean Hermesse : des engagements sur tous les fronts
Après plus de 30 années à la MC, où il a mis sa science des chiffres au service de la solidarité et de la lutte contre les inégalités de santé, Jean Hermesse a quitté le poste de Vice-Président en juillet 2020 pour prendre une retraite active et engagée, à l’image de sa carrière. Cet homme de convictions n'est pas qu'un tribun indigné. Le militant s'est mué en pèlerin convaincant pour faire adhérer à ses causes ou insuffler des projets qui, aujourd'hui, témoignent d'une pensée visionnaire à bien des égards. Nous épinglons ici cinq de ses grands combats.
Publié le: 06 juillet 2020
Par: Joëlle Delvaux (avec Stéphanie Bouton)
9 min
Photographie: M.Cornélis
Protéger les patients les plus vulnérables contre des coûts élevés
À la MC, l'accessibilité financière des soins de santé a toujours été un cheval de bataille. "5 % de la population consomme 53 % des soins. Il s'agit, essentiellement, de personnes âgées et/ou souffrant de maladies chroniques, de personnes en fin de vie. Ce sont ces 5 %, soit les plus vulnérables, qui ont besoin de toute notre attention, martèle Jean Hermesse. Tous, nous sommes amenés à devenir vieux un jour."
Parmi les dispositifs permettant de garantir aux personnes les plus fragilisées l'accessibilité aux soins Jean Hermesse peut mettre à son actif la franchise sociale, rebaptisée par la suite "maximum à facturer": "En 1993, le gouvernement Dehaene a décidé d'imposer une hausse importante des tickets modérateurs aux patients, dans le but de faire des économies dans le secteur de la santé. À l'époque, j'étais directeur du service d'études. J'ai suggéré à la direction de la MC de défendre auprès de la ministre des Affaires sociales, Magda De Galan, l'idée de protéger les personnes qui concentrent les soins, en plafonnant les coûts à leur charge". Deux ans plus tard, la MC lançait, avec ses mouvements (à l'époque l'Aide aux malades et l'Association chrétienne des invalides et handicapés, devenues depuis Altéo), sa toute première grande enquête auprès des malades chroniques. "Des centaines de membres ont témoigné du fait qu'ils ne s'en sortaient pas financièrement et étaient obligés de postposer des soins médicaux, de se priver de médicaments ou de s’endetter pour se soigner ", s'émeut Jean Hermesse. La MC a joué un rôle moteur dans l'adoption de mesures importantes : instauration du forfait malades chroniques, élargissement du remboursement préférentiel aux ménages à revenus modestes… Sans oublier les revalorisations des indemnités ou encore l'instauration d'une prime de rattrapage pour les invalides.
Certes, il faut continuer à déployer des efforts pour améliorer l’accessibilité financière des soins de santé en général et plus particulièrement pour les malades chroniques. Mais, en regardant dans le rétroviseur, sans doute peut-on convenir que le chemin parcouru ces 25 dernières années n'est pas négligeable…
Assurer une sécurité financière aussi à l'hôpital
Demander à tous les affiliés de la MC une cotisation modique, pour les couvrir avec toute leur famille contre des factures élevées en cas d'hospitalisation en chambre double ou commune : l'idée qui a germé dans la tête de Jean Hermesse à la fin des années 90 s'est concrétisée en janvier 2000 par la naissance d'Hospi Solidaire. "Je me suis beaucoup investi pour convaincre les mutualités chrétiennes régionales francophones et germanophone d'adhérer au concept et franchir le pas, raconte-t-il. La MC est la seule mutualité à proposer cet 'avantage, compris dans l'assurance complémentaire, qui illustre sans doute le mieux notre attachement à la solidarité et notre refus de cautionner une médecine à deux vitesses. Hospi solidaire s'inscrit à contre-courant de la logique commerciale. Les personnes âgées, les malades chroniques, les personnes handicapées… sont toutes couvertes à vie. Personne n'est exclu. Il n'y a ni questionnaire médical ni stage d'attente. Il n'existe aucune limitation d'intervention. Une aide supplémentaire est aussi octroyée en cas de maladie grave et coûteuse”. 20 ans après, s’il reste fier de la réussite du projet, Jean Hermesse regrette que la couverture qu’offre Hospi solidaire n’ait pas été généralisée à tous les citoyens du pays au sein de l’assurance soins de santé obligatoire, comme cela a été fait pour le coût du transport urgent, par exemple. “Pendant très longtemps, l’intervention dans les frais de transport urgent a fait partie des avantages que la mutualité offrait à ses membres via sa complémentaire. Depuis 2019, ils sont enfin remboursés à tous par l’assurance soins de santé obligatoire. Cela démontre aussi que les avantages proposés au sein de notre complémentaire sont précurseurs pour ouvrir une meilleure accessibilité aux soins pour tous”.
Dans la même lignée, la suppression des suppléments d'honoraires médicaux en cas d'hospitalisation est un combat que Jean Hermesse porte haut et fort. Depuis 15 ans, la MC décortique les factures hospitalières de ses membres. Ces baromètres successifs ont permis de détecter les postes qui font grimper, voire déraper, les coûts à charge des patients. "La suppression des suppléments de chambre et l'interdiction des suppléments d'honoraires en chambre double et commune, décidée par le gouvernement Di Rupo en 2013 représente une grande victoire", se réjouit Jean Hermesse. Mais, en chambre individuelle, la spirale infernale des suppléments d'honoraires se poursuit. La ministre actuelle, Maggy De Block, est restée sourde à toute mesure de régulation. Pourtant, le système actuel n'est pas tenable financièrement. "J'ai rencontré les représentants des employeurs pour les convaincre que cela leur coûterait moins cher d'injecter des cotisations dans l'assurance soins de santé obligatoire que dans les assurances hospitalisation commerciales. Cela permettrait de mieux financer les hôpitaux, de mettre fin à la pratique des suppléments d'honoraires et d'octroyer une rémunération correcte à tous les médecins". Le combat est loin d'être abouti mais il se poursuit.
Garantir la qualité et la sécurité des soins à l'hôpital
Dans la foulée d'Hopi solidaire, la MC a été la première mutualité à proposer aux hôpitaux un partenariat pour y améliorer la sécurité et la qualité des soins. Dans certains établissements hospitaliers, des initiatives de qualité spécifiques ont été menées avec des universités, par exemple sur la transfusion sanguine, la prise en charge de la douleur, la nutrition… Cela répondait à un réel besoin mais ces initiatives, isolées, avaient leurs limites. Des projets plus ambitieux sur l’organisation des soins ou de la sécurité des patients dans les hôpitaux demandaient un réseau et des moyens plus importants. Jean Hermesse a alors suggéré aux autres mutualités de créer et de financer ensemble une structure pour servir d'appui à des projets. C'est ainsi qu'est née, en 2013, la Plateforme pour l’amélioration continue de la qualité des soins et de la sécurité des patients (PAQS ASBL).
Rapidement, les fédérations hospitalières ont embrayé et participé au financement. Des partenariats avec des universités et des sociétés scientifiques se sont consolidés et la PAQS a acquis, au fil des ans, une reconnaissance internationale. "Les recommandations de bonnes pratiques et les procédures d'excellence ont certainement contribué à diminuer les erreurs médicales et les complications, à réduire la durée de séjour excessive et les infections nosocomiales… Réduire les risques, c'est évidemment dans l'intérêt des patients, mais aussi des hôpitaux et des médecins, et pas seulement parce qu’ils paient des primes très élevées en responsabilité civile, précise Jean Hermesse. Aujourd'hui, les maisons de repos et les services de soins ambulatoires frappent à la porte de la PAQS. C'est la preuve de l'utilité de la démarche de qualité et de sécurité. La crise sanitaire actuelle en fait la parfaite démonstration".
Rassembler métiers et mouvements autour des membres
Début des années 2000. On pressent alors que l'évolution des technologies – la digitalisation - va profondément transformer le contenu du travail des mutualités et réduire les occasions de passages des membres dans les agences. À la direction de la MC, on réfléchit alors à organiser les services mutualistes autour d'un concept novateur et mobilisateur, celui de centre mutualiste de santé (CMS). L'idée est de déployer, sur les territoires wallons et bruxellois, des centres qui rassemblent tous les services aux membres et accueillent aussi les mouvements partenaires de la MC, en s'inscrivant résolument dans le réseau des associations de la région concernée. La mise en place de CMS a créé une véritable dynamique entre tous les métiers autour du service aux membres. Des projets communs se construisent avec les mouvements, des collaborations se nouent aves des associations pour mener des actions et activités sur des thématiques santé ou société (alimentation saine, sport en famille, assuétudes...). Un modèle appelé à se généraliser à la MC et dont les missions vont sans doute prendre de l'ampleur à l'avenir, comme le suggère Jean Hermesse: "Trop de gens ignorent leurs droits et sont perdus face aux formalités administratives. Grâce aux données dont nous disposons, nous pouvons les contacter de manière pro-active et leur fournir des informations ciblées, des conseils personnalisés sur leur santé aussi. On a aussi un rôle important à jouer dans la prévention. On dispose de nombreuses données qui permettent d'identifier des problèmes majeurs de santé publique sur un territoire donné et de mener des actions pour sensibiliser la population ou alerter les pouvoirs publics pour prendre les mesures qui s'imposent".
Promouvoir la coopération internationale
Avec Jean Hermesse, la solidarité au-delà des frontières n’est pas qu’un slogan. Il a beaucoup œuvré pour intégrer la coopération au sein de l’Agence intermutualiste. Il s'est fortement impliqué aussi dans la collaboration transfrontalière, en particulier comme gestionnaire de l’Observatoire franco-belge de la santé, qui regroupe différents acteurs de la santé et des mutualités, de part et d’autre de la frontière.
Pour lui, pas question de faire un copier-coller du modèle mutualiste belge mais bien de partir de la réalité de terrain vécue dans le pays partenaire pour y améliorer l’accès aux soins. Jean Hermesse est aussi persuadé que ce qui se vit "là-bas" peut nous aider à voir différemment les choses et résoudre les problèmes ici. D’une approche davantage caritative, la MC est ainsi passée à une approche structurelle, en soutenant le développement de mutuelles de santé dans des pays étrangers, et en y intégrant les volontaires actifs à la MC et dans ses mouvements partenaires. Un ancien directeur d'une mutualité régionale se souvient d'une des premières missions de Jean Hermesse en Afrique. "Jean, c’est le patron de la plus grande mutualité de Belgique qui, en costard-cravate, se plie aux discours lors de cérémonies officielles, et qui, ensuite, se laisse emporter par la danse ou apprend à chanter "Ti yaya ti yaya ho" à 3.000 personnes rassemblées pour l'occasion. Adopter le rythme africain et nous entraîner tous avec lui : c’est typiquement du Jean Hermesse!"