Jeunes

Sonnette d'alarme pour le travail étudiant

Dorénavant, les étudiants peuvent jober 650 heures par an à partir de 15 ans. Difficultés à combiner études et travail, absence de protection sociale, concurrence... L'extension de ce qui était à l’origine un appoint pose aujourd’hui de nombreuses questions. 

 

Publié le: 20 mai 2025

Mis à jour le: 20 mai 2025

Par: Joëlle Delvaux

5 min

Un étudiant vend du pain à un client dans une boulangerie

Photo: © AdobeStock//Dorénavant, les étudiants peuvent jober 650 heures par an à partir de 15 ans.

Le travail étudiant a le vent en poupe. Au 3e trimestre 2024, quelque 527.000 étudiants étaient jobistes, soit 61.000 en plus qu'à la même période en 2019. Le volume d’heures représentait plus de 69.225 équivalents temps plein, en hausse de 13,6 % en 5 ans. 
La tendance devrait s’accentuer. En effet, le gouvernement fédéral a  décidé de porter de 475 à 650 le nombre d'heures de travail étudiant autorisé par an. Après la crise sanitaire et jusque fin 2024, la limité autorisée avait été fixée provisoirement à 600 heures.
Autre mesure décidée par la Coalition Arizoner : baisser la limite d'âge du travail étudiant de 16 à 15 ans (à 15 ans, la condition d'avoir suivi le premier degré de l'enseignement secondaire est supprimée). 

Encouragé par les pouvoirs publics

Le contrat d'occupation étudiant a été créé en 1978 pour permettre aux étudiants de gagner de l'argent de poche, et aux employeurs de remplacer leurs salariés en congés annuels, ou de faire face à un pic d'activités saisonnières. Ce contrat déroge aux règles du contrat de travail ordinaire : le salaire est inférieur au salaire minimum et les cotisations sociales sont réduites (voir ci-après). À l'origine, les jeunes pouvaient jober 23 jours, uniquement pendant les vacances. Puis le législateur a autorisé 23 jours supplémentaires pendant l'année scolaire. En 2017, le quota en jours a été remplacé par un compteur en heures (475 h par an) pour plus de flexibilité. 
"Ce régime dérogatoire n’en est plus vraiment un, s'inquiète Maxime Michiels, assistant à la Faculté Espo de l'UCLouvain. Actuellement, un étudiant peut jober à tiers temps pendant dix ans sans ouvrir de droit à la sécurité sociale ni se constituer un euro de pension. Cela devrait faire réfléchir. Ne vaut-il pas mieux se concentrer à fond sur ses études et travailler ensuite ? Les carrières vont quand même durer jusqu'à 67 ans.

"L’ampleur du travail étudiant contribue à miner le financement solidaire de la sécurité sociale", poursuit Bernard Dessy, responsable national des Jeunes CSC qui plaident pour la création d'un véritable statut de travailleur étudiant assorti de cotisations sociales, et la fin de la discrimination salariale dont sont victimes les salariés de moins de 21 ans. 

Une diversité de situations 

Tous les étudiants ne jobent pas pour les mêmes raisons. Les plus nombreux sont issus des milieux populaires. Ils prennent des petits boulots par nécessité pour payer leurs études, subvenir à leurs besoins, voire aider financièrement leur famille. Les jeunes des classes aisées peuvent davantage compter sur le soutien des parents. Pour autant, il ne permet pas toujours de faire face à l'ensemble des coûts, surtout avec l'allongement des études. Grâce à leurs réseaux, ces étudiants accèdent plus facilement à des jobs mieux rémunérés ou liés à leur futur métier. 
D’autres jeunes encore jobent moins par "obligation alimentaire" que pour s'offrir une vie plus confortable dans une société de consommation qui les sollicite toujours plus. 

Un impact non négligeable sur les études 

Dans les classes et auditoires, les enseignants s'inquiètent de voir les jobs, devenus nécessité pour beaucoup d'élèves et étudiants, prendre de plus en plus le pas sur les études. Cela se traduit par de l'épuisement, des absences aux cours, des travaux non remis à temps, voire des demandes d'adaptation d'horaire d'examen "pour pouvoir jober"… Parmi les étudiants devenus non finançables dans l'enseignement supérieur en raison d'échecs successifs, beaucoup reconnaissent avoir manqué de temps et d'énergie pour étudier à cause de leur job. 
"Par le passé, on a voulu protéger les enfants du travail pour qu'ils puissent être scolarisés et formés. On prend dangereusement la direction inverse, s'inquiète Maxime Michiels. Les responsables politiques se focalisent sur la réponse à donner aux besoins de main d'œuvre bon marché et flexible des entreprises. Ils oublient l'impact négatif sur le niveau de formation des travailleurs de demain. On sait que les étudiants qui jobent beaucoup s'orientent vers des études courtes, n'en font pas pour entrer plus vite sur le marché du travail ou abandonnent leur cursus après échec. En travaillant 10 heures par semaine, le risque de décrochage augmente de 10 %. À moyen et long terme, tout le monde est perdant." 

Une concurrence sur le marché de l'emploi 

"Les étudiants constituent une main-d’œuvre bon marché, malléable et flexible, disponible le soir et le week-end", constate Bernard Dessy. Pas étonnant dès lors que de plus en plus d'employeurs fassent appel aux jobistes de manière (quasi-)permanente, soit en les engageant directement, soit en passant par une agence d'intérim (plus d'un job étudiant sur trois). Dans certains secteurs, comme la grande distribution, les contrats d’étudiant concurrencent significativement les contrats fixes. "Le risque est double : banaliser la relation de travail ultra-flexible et tirer les droits et conditions de travail vers le bas", s'inquiète le permanent des Jeunes CSC. 

Une mauvaise réponse à la précarité 

"Pousser les étudiants à travailler toujours plus c'est une fausse bonne idée. Cela renforce les inégalités sociales et cela crée un cercle vicieux de l’échec et de l’abandon des études", martèle Bernard Dessy. "En quelque sorte, les pouvoirs publics délèguent la gestion de la précarité étudiante aux entreprises", analyse Maxime Michiels. Il faut plutôt activer d'autres leviers politiques, poursuit l’enseignant : réduire les coûts directs et indirects des études, à commencer par le logement, garantir l'accès à des transports en commun et repas bon marché, renforcer l'accompagnement et les aides sociales, élargir et simplifier les conditions d'octroi aux bourses d'études... Pour l'heure, on est malheureusement loin du compte.