Incapacité de travail
Un nouveau centre de santé a ouvert ses portes à Bruxelles : le Cecsi, centre d’Evras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) collaboratif et de santé inclusive. Approcher la santé au sens large pour les personnes minorisées est au cœur de ce projet.
Publié le: 07 juin 2023
Par: Soraya Soussi
8 min
Photo: © Soraya Soussi
Anissa, chargée de projets et co-fondatrice d'Epicentre attend à l’entrée du centre de santé Cecsi, ouvert depuis cette année. Un accès pour personnes porteuses d'un handicap est prévu. Á l'intérieur, cet ancien funérarium est pourvu d'un spacieux ascenseur pour se rendre dans les deux structures fondatrices de Cecsi : O'Yes (anciennement Sida'SOS), une asbl créée pour et par les jeunes, active dans l'éducation et la promotion de la santé sexuelle et affective (lire ci-dessous), et Epicentre, espace de santé inclusive, né en même temps que Cecsi.
Au rez-de-chaussée, une grande salle commune accueille diverses activités des deux associations et de leurs partenaires, comme Tels Quels qui défend les droits des personnes LGTBQIA+ ou Fat Friendly, asbl active contre la grossophobie, "un gros sujet dans les discriminations en santé", glisse Anissa au cours de la visite. Au premier étage, Epicentre vient d'aménager sept cabinets et une salle d'attente confortable. Aux murs, des fiches présentent les valeurs d'Epicentre. Un répertoire avec des ressources inclusives (livres, articles, podcasts, etc.) est partagé et des fiches expliquent ce qu’est le shiatsu."C'est important pour nous que toutes les pièces soient accueillantes, autant pour la patientèle que les professionnels de la santé", précise la chargée de projets.
L'idée est partie d'un constat : les personnes minorisées de notre société désertent les lieux de soins de santé. "Les associations de terrain et certains professionnels de la santé se sont rendu compte que trop de personnes issues de la communauté LGBTQIA+, les personnes racisées, âgées, grosses, précarisées, porteuses d'un handicap, ne viennent pas ou plus se soigner car elles se sentent jugées et discriminées, ce qui crée une rupture de confiance avec le corps médical", rapporte Anissa. Si le centre s'adresse à toutes et tous, la patientèle actuelle appartient davantage à la communauté LGBTQIA+.
Cette année, la Belgique peut se féliciter d’être 2e au classement européen des droits des personnes LGBTQIA+, juste après Malte. (1) Si notre pays est pionnier en matière de politiques sur les questions d’égalité de droit pour cette communauté, des discriminations et violences persistent. En Europe aussi d'ailleurs où certains pays sont encore très loin en termes de droits LGBTQIA+, comme la Hongrie par exemple. Le secteur médical n’échappe malheureusement pas à ces dérives.
Un médecin à un patient homme trans : "Vous n’auriez peut-être pas dû changer de sexe". Une gynécologue à une patiente lesbienne : "Si vous avez des rapports sexuels avec des femmes, il n’y a pas de risque d’IST puisqu’il n’y a pas de pénétration." Ou encore : une assistante sociale à une femme trans dans un planning familial : "Ça fait quoi de changer de genre ?"* Un rapport de 2017 publié par la Commission européenne, dans le cadre du projet européen "Health 4LGTBI" (2) signalait des discriminations de la part du corps médical, hétéronormé et non formé sur les spécificités de ces publics. "L'utilisation d'un vocabulaire médical pathologisant est rapportée, avec les terminologies biomédicales comme 'dysphorie de genre', 'désordre du développement sexuel' pour les personnes trans et intersexes." Rappelons qu'il a fallu attendre le 25 mai 2019 pour que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) retire (enfin !) la transidentité des troubles mentaux de sa liste des maladies.
Fausses informations, remarques déplacées, questions intrusives, comportements inappropriés voire violents de certains soignants font fuir des personnes des structures de soins. Les problèmes majeurs de santé de ces publics sont pourtant connus aujourd’hui. Les personnes LGBTQIA+ sont plus exposées aux risques de contracter des maladies sexuellement transmissibles (IST), de tomber en dépression, de développer des troubles anxieux, de souffrir de stress et de problèmes d'assuétude (tabac, alcool, drogue et autres psychotropes) ou de mettre fin à leurs jours. En effet, "60% des personnes intersexes ont fait une tentative de suicide contre 3% pour la population hétérosexuelle cisgenre !" (3)
Toujours dans le rapport publié par la Commission européenne, les professionnels de la santé confient se sentir mal à l'aise à aborder les questions liées au genre et aux orientations sexuelles. Ils disent manquer de formation sur les besoins des personnes LGBTQIA+ et autres publics minorisés. (1) Chez Epicentre, une équipe pluridisciplinaire de 26 professionnels de santé propose ses services, à la fois dans le domaine de la médecine classique, mais aussi dans celui des pratiques dites "complémentaires" (homéopathie, acuponcture, kinésiothérapie, méditation, sophrologie, etc.). Leur point commun : une sensibilité et une ouverture aux questions d'inclusion. "Les publics minorisés mettent en place des stratégies de 'débrouille'. Par exemple, les personnes s’échangent des contacts de soignants 'sécurisants' ; des réseaux de contacts informels se créent, précise Anissa. Réunir au sein d'un même lieu des professionnels de la santé qui ont à cœurde travailler sur les questions d'inclusi-vité était notre volonté. Pour l'équipe,c'est également l'occasion d'échangersur leurs pratiques, les réalités vécuespar leur patientèle et faire évoluer l'approche de l'accueil et du suivi dessoins".
Le jeune centre travaille également à l'élaboration de formations auprès de professionnels sur les questions d'inclusivité, en partenariat avec d'autres structures comme des maisons médicales, des associations actives pour la lutte et la défense des droits des personnes minorisées, etc. "Échanger, collaborer, sensibiliser, informer et diffuser des pratiques de santé plus inclusives, cela pourrait réconcilier les personnes d’ordinaires discriminées par le corps médical, et ainsi les faire revenir dans les structures de soins. C'est un enjeu de santé publique fondamental !",conclut Anissa.
*Témoignages recueillis sur les réseaux sociaux et sur Internet
L'asbl O'Yes, active dans la promotion et l'éducation à la santé sexuelle chez les 15-30 ans, a développé le projet "Go to gynéco" à destination des personnes lesbiennes, bisexuelles & co.
Chez les personnes lesbiennes, bisexuelles & co, il existe 4 fois plus d'infections sexuellement transmissibles (IST)que les chez les hétérosexuels. 95 % des personnes ne se protègent jamais et une personne sur 3 ne s'est jamais fait dépister contre le cancer du col de l'utérus. Or, on sait que 70 % des personnes qui ont développé un cancer du col de l'utérus n'ont pas bénéficié d'un frotti, censé avoir lieu tous les trois ans. "Go to gynéco" informe et sensibilise aux questions de santé sexuelle, comme l'importance de consulter un professionnel pratiquant la gynécologie ou encore d'effectuer certains examens.
Le petit guide offre également quelques conseils pour se sentir à l'aise en consultation. Des associations qui luttent contre les discriminations comme Unia, l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes, ou encore Tels Quels sont répertoriées. Bref, une petite mine d’or sur les questions de santé sexuelle à destination d’un public souvent oublié.
Plus d'infos : o-yes.be • 02 303 82 14