Emploi
L’IHP La Lisière accueille des mamans confrontées à des problèmes de santé mentale, afin de soutenir le lien avec leur enfant et de favoriser leur intégration sociale. Rencontre avec les femmes qui y vivent et celles qui y travaillent.
Publié le: 28 octobre 2025
Par: Valentine De Muylder
8 min
Illustration: © Marion Sellenet
"La lisière, c’est la végétation qui entoure les forêts", explique Lisa, assise dans le coin salle à manger d’une pièce de vie lumineuse, égayée par un mini chapiteau et des modules en mousse colorés. La Lisière, c’est aussi le nom de cette maison un peu particulière où elle habite depuis un an avec son fils de 21 mois. Comme son nom l’indique, c’est un "endroit de transition", un lieu pour "souffler" puis "rebondir".
"Ces trois dernières années ont été très difficiles, poursuit-elle d’une voix posée. Ça a été… la déchéance." Des difficultés qui l’ont amenée à passer six mois avec son fils dans l’unité mère-bébé de la clinique psychiatrique la Ramée, avant de s’installer ici. Depuis, elle suit une nouvelle formation professionnelle, fait du bénévolat, est en contact quotidien avec sa fille ainée et cherche activement un appartement, décidée à reprendre son envol.
"C’est le but, confirme Sophie (1). On est ici pour faire un point sur soi et reconstruire une vie normale”. Les cheveux encore humides d’avoir été nager, cette autre maman s’installe à la même table que Lisa pour manger un morceau avant de monter se reposer et d’aller chercher sa fille de deux ans à la crèche. Mère et fille vivent ici depuis sept mois, raconte-t-elle. Avant cela, elles sont passées par d’autres structures, dont une maison maternelle.
Marquée par d’importantes modifications hormonales, psychiques et systémiques, la période qui entoure la naissance est un moment de vulnérabilité particulière pour les femmes. Elle est également importante pour le développement du bébé et de la relation étroite qui l’unit à sa mère. C’est pour offrir un lieu de vie temporaire à des mamans rencontrant des difficultés psychiques ou psychiatriques dans cette période si délicate (dépression post-partum, problématiques dépressives ou anxieuses préexistantes, assuétudes…) que La Lisière a ouvert ses portes en 2021 sous l’impulsion du Dr Karine Mendelbaum, psychiatre et cheffe de service à la Ramée.
Au total, cette initiative d’habitation protégée (IHP) peut accueillir cinq femmes, enceintes ou accompagnées d’enfants de 0 à 3 ans, pour une durée allant de 6 mois à 2 ans. Pour y avoir accès, les femmes ne doivent pas nécessairement être passées par la case hospitalisation. "Ce qui importe, c’est qu’elles soient stabilisées sur le plan psychique ou psychiatrique et suffisamment autonomes pour assurer les soins primaires de leurs bébés", détaille Carole-Anne Coquerelle, assistante sociale et coordinatrice de l’IHP. En pratique, précise-t-elle, "la porte d’entrée est assez étroite, car elles doivent aussi avoir un revenu suffisant pour pouvoir payer les frais d’hébergement."
Au quotidien, une équipe multidisciplinaire composée d’une psychiatre, d’une psychologue, d’une infirmière, d’une infirmière sage-femme et d’une kiné psychomotricienne se relaye pour accompagner les mères et leurs enfants et assurer une présence tous les jours de la semaine de 8h à 18h, ainsi qu’une garde téléphonique le soir et le weekend. Chaque maman a une référente au sein de l’équipe, et des rendez-vous fixes avec les intervenantes. Pour le reste, les résidentes organisent elles-mêmes leur emploi du temps et celui de leur enfant, et l’accompagnement a lieu à la demande. D’où l’importance d’une certaine autonomie.
"Les oiseaux chantent", fait remarquer Sophie en pointant un doigt vers la véranda, qui donne sur le jardin. Ce midi, la maison est calme. Mais l’ambiance n’a pas toujours été aussi paisible. Si les enfants de Sophie et de Lisa s’aiment et se chamaillent comme s’ils étaient des frères et sœurs, la cohabitation a été très tendue par moments. Au point de donner du fil à retordre aux intervenantes, insinuent les deux mamans. Avant d’affirmer, l’une comme l’autre, que cette expérience leur a permis de grandir et d’apprendre sur elles-mêmes.
"Ce qui me fait le plus de bien, c’est d’avoir un cadre, ça me rassure", poursuit Sophie. Quand on lui demande ce qu’elle entend par "cadre", elle précise : "une discipline, un regard autre que le mien". Ce regard, c’est celui des travailleuses qui les accompagnent. "Ce sont des mamans, elles aussi, ajoute-t-elle. C’est un peu comme si c’étaient des copines, même si bien sûr ce sont des professionnelles."
"La vie en communauté est un des piliers du projet, confirme le Dr Céline de Hepcée, psychiatre de l’IHP. Même si on ne leur demande pas de manger ensemble, elles se retrouvent toutes vers midi ou en fin de journée dans l’espace commun." La dynamique change en fonction des mamans : certaines s’entraident, d’autres sont plus solitaires. Au fil du temps, l’équipe a dû poser des balises – comme limiter le temps de télévision – et instaurer des moments collectifs : ateliers créatifs, réunion hebdomadaire pour se répartir les tâches et aborder les difficultés... "Le projet est encore jeune. Nous apprenons pas à pas. Mais c’est intéressant, ça fait évoluer tout le monde."
L’accompagnement varie en fonction des mamans. Ancré dans le quotidien, il permet "d’appréhender des difficultés auxquelles on n’a pas accès à l’hôpital, précise Carole-Anne Coquerelle. Cela permet d’avancer au cas par cas, en fonction de leurs besoins. Il y a des mamans avec lesquelles nous avons cuisiné et élaboré des menus pour les encourager à varier les repas. D’autres se débrouillent très bien pour ça, mais ont besoin d’aide pour des démarches administratives, la mise en place d’une formation, la recherche d’un logement… Mais nous ne faisons jamais les choses à leur place, nous sommes plutôt à côté d’elles ".
Une autre particularité de l’accompagnement proposé à La Lisière, c’est qu’il est centré sur la "dyade" mère-bébé, précise le Dr Céline de Hepcée. C’est ainsi que l’on désigne, en psychologie, le lien si particulier qui se tisse et évolue entre une mère et son jeune enfant. Les enfants doivent par exemple fréquenter une crèche, afin de permettre aux mamans d’avoir des moments pour elles, et aux enfants d’être en collectivité. L’équipe est attentive à eux au quotidien et accompagne parfois à la crèche ou à des rendez-vous médicaux, dans un esprit de travail en réseau avec les acteurs de la petite enfance.
"Il y a eu des enfants pour lesquels nous étions inquiètes, continue la psychiatre. Soit parce que nous observions des retards de développement, soit parce que nous craignions pour leur sécurité”. Il arrive qu’en quittant la Lisière un enfant soit placé : "Parfois, ce sont les mamans qui disent elles-mêmes qu’elles ne peuvent pas rester avec leur enfant 24h sur 24. Ce sont souvent des femmes qui sont très isolées socialement et ne peuvent pas passer le relais à un papa ou à un grand-parent. Être mère à temps partiel peut alors être une manière de privilégier un lien positif." Mais la plupart des dyades poursuivent leur route ensemble, soit vers d’autres structures, soit vers leur propre logement.
Le moment du départ se prépare bien à l’avance, ajoute Carole-Anne Coquerelle, coordinatrice du projet. Les intervenantes assurent notamment la passation avec les éventuels services qui prendront le relais (équipe mobile, service d’aide à la jeunesse…). Pour clore le séjour en douceur, une visite à La Lisière est prévue après quinze jours, puis un mois, ainsi qu’un goûter avec les autres résidentes. Les enfants conservent quant à eux un carnet "Au fil de la Lisière”, préparé par leur mère avec l’aide de l’équipe, afin de garder une trace de leur passage.
Sophie et Lisa ont le regard résolument tourné vers l’avenir. "Il y a plus de liberté ici qu’à l’hôpital, affirme Lisa. Mais ça reste une institution. Ce ne sera jamais vraiment ‘chez nous’. On sait que tout est noté. On a un peu l’impression d’être dans une télé-réalité". L’expression fait sourire Sophie. Mais toutes deux se disent très reconnaissantes. "Pour une maman dans ma situation, c’est une grande chance de pouvoir être ici, conclut Lisa. Même si des fois je râle, j’ai beaucoup de gratitude. Ça ne nous a fait que du bien, à mon fils et à moi. Tout le monde peut tomber et se relever, la vie n’est pas toujours linéaire."
(1) Lisa et Sophie sont des prénoms d’emprunt.
Située à Bruxelles, l’IHP La Lisière fait partie du réseau Périnatal, qui regroupe de nombreux partenaires en Belgique dans le domaine de la périnatalité : unités mères-bébés, hôpitaux, équipes mobiles, lieux d’hébergement, consultations…
Infos: perinatal.be
Pour tous renseignements sur l’IHP La Lisière : [email protected]