Emploi
On pense souvent qu’un rendez-vous psy implique de franchir la porte d’un cabinet. Mais de plus en plus de psychologues reçoivent leurs patients ailleurs. Dans des maisons médicales, des CPAS, des maisons de repos, des centres pour jeunes ou même des associations.
Publié le: 23 octobre 2025
Par: Valentine De Muylder
6 min
Faire tomber les barrières qui empêchent de nombreuses personnes de prendre soin de leur santé mentale. C’est l’objectif de la convention "soins psychologiques de première ligne" mise en place par l’Inami (voir plus bas). Pour ce faire, elle encourage les professionnels de la santé mentale à se rapprocher de certains publics.
"L’intention politique est non seulement de rendre les soins plus accessibles financièrement, mais aussi d’aller chercher les personnes dans les espaces qu’elles fréquentent déjà", résume Clara Noirhomme, chargée de recherche à la MC et autrice d’une toute nouvelle étude qui dresse le bilan du dispositif. Ces espaces, on les appelle "lieux d’accroche" dans le jargon de la convention. Un terme un peu crypté, mais qui évoque bien l’idée d’aller à la rencontre des publics, comme on accrocherait de nouveaux wagons au train collectif des soins psychologiques.
Clara Noirhomme (MC)
En pratique, cela signifie que des psychologues conventionnés reçoivent désormais leurs patients dans des endroits très divers, parfois même inattendus, comme des cabinets de médecins généralistes, des CPAS, des maisons de repos, des consultations ONE, des maisons de quartier ou de jeunes, ou encore des centres d’accueil pour demandeurs d’asile…
Et la méthode semble efficace, poursuit Clara Noirhomme : "Les modalités de consultation se sont diversifiées avec le temps et il y a proportionnellement plus de nouveaux patients dans ces lieux." De plus en plus de bénéficiaires de la convention (35 %) ont consulté une ou plusieurs fois dans un "lieu d’accroche". Ces consultations concernent même près de la moitié (entre 38 et 47 % selon les cas) des patients bénéficiaires d'aides financières, de personnes de plus de 65 ans, d’ouvriers et ouvrières, de personnes au chômage, de personnes en maladie ou invalidité…
Des initiatives de proximité existaient déjà, signale Jonathan Bouvy, coordinateur local soins psychologiques de 1ère ligne au Réseau Santé Mentale de l’Est (RéSME), mais la convention permet aujourd’hui de développer plus largement cette approche. Dans la région de Verviers, où il travaille, les partenariats se sont multipliés. Outre les consultations individuelles, on trouve dans ces lieux des consultations en groupe, des interventions communautaires (des ateliers ponctuels autour d’un thème précis) et un soutien aux équipes de professionnels qui y travaillent.
"Nous partons toujours des demandes exprimées par les services et les publics, poursuit-il. Le cœur de notre travail, c’est de se demander s’il y a des gens que l’on oublie et quels sont leurs besoins". Chaque réseau s’adapte à sa réalité. L’enjeu est notamment d’assurer une accessibilité géographique des soins : "Dans l’ensemble, notre région est bien couverte, la répartition est assez équilibrée. Mais il est clair qu’on trouve plus de psychologues dans et autour des villes que dans les zones rurales." Les inondations de 2021 ont par ailleurs engendré une vulnérabilité particulière dans les zones touchées, où les souffrances sont réactivées à l’annonce de fortes pluies.
Si le travail en "lieux d’accroche" marque un changement pour les patients, il s’agit également d’une petite révolution dans la façon de travailler de certains professionnels. "C’est un changement de culture de travail, précise Geneviève Loots, coordinatrice du réseau 107 BW, en Brabant wallon. L’idée, c’est que les psychologues sortent de leur cabinet et aillent vers les personnes. Cela demande de la proactivité et une dynamique de partenariat interdisciplinaire avec les professionnels du lieu d’accroche. Cela reste bien sûr complémentaire par rapport aux consultations en cabinet. Mais c’est très riche, et cela pousse à l’innovation."
Jonathan Bouvy (RéSME)
"Ce n’est pas toujours facile pour des personnes dans la précarité d’accéder à des soins psychologiques. J’ai un accord avec les CPAS et communes de Braine-le-Château et de Rebecq pour recevoir, certains jours, des patients dans leurs locaux. Il peut s’agir de personnes qui souhaitent d’elles-mêmes consulter, ou de personnes que les assistants sociaux rencontrent dans le cadre d’un suivi financier, familial ou pour l’emploi, et qu’ils orientent vers moi. Pour ces personnes, les freins sont avant tout financiers, mais certaines ont aussi du mal à se déplacer, n’ayant pas de voiture. La relation de confiance avec l’assistant social leur permet également d’oser aller chez le psy, parce que cela reste stigmatisant pour beaucoup. Si elles avaient dû téléphoner, attendre d’avoir un rendez-vous, elles ne l’auraient peut-être pas fait... La convention leur permet d’accéder à des soins de qualité et de proximité, et nous permet de mettre en place un traitement ou de les orienter". Pierre Orban, psychologue conventionné
"Faire appel à un ou une psychologue peut être intimidant et, pour certains et certaines, vécu comme honteux ou même dangereux. Je propose un soutien psychologique individuel aux bénéficiaires de la Maison Arc-en-Ciel de Verviers, un lieu de convivialité et un service social pour les personnes LGBTQIA+ et leurs proches, directement dans leurs locaux. Afin de répondre à leurs craintes, nous facilitons autant que possible la demande de soutien, en nous appuyant sur l’équipe pluridisciplinaire déjà en contact avec les bénéficiaires, en proposant un accompagnement dans un lieu familier, en étant présente ou présent physiquement pour ne plus être un visage inconnu et en garantissant un coût réduit. Notre objectif est de créer un lien de confiance solide avec des populations particulièrement fragilisées et d’adapter notre travail à leurs besoins spécifiques." Axelle Alibert, psychologue conventionnée
Les soins psy de 1ère ligne, c’est quoi ?
Depuis 2019, les soins psychologiques sont entièrement ou partiellement pris en charge lorsque le psychologue ou orthopédagogue clinicien est "conventionné", c’est-à-dire qu’il est affilié à un réseau local de santé mentale ayant signé une convention avec l’Inami. Ces soins peuvent prendre la forme de séances de groupe ou individuelles, qui peuvent avoir lieu dans un cabinet "classique", mais aussi dans un lieu d’accroche (association, CPAS…), à distance, ou même à domicile.
Pour en savoir plus ou trouver un psy près de chez vous : parlonsen.be
Le saviez-vous ? La MC est également un lieu d’accroche, dans la mesure où elle organise des ateliers thématiques animés par des psychologues de 1ère ligne. Retrouvez-les sur mc.be/agenda
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Bonne nouvelle : selon une étude récente de la MC, le nombre de professionnels conventionnés a plus que doublé entre 2022 et 2024, passant de 2.361 à 6.123. On constate toutefois des disparités territoriales. Si à Bruxelles, 40 % des psychologues et orthopédagogues sont conventionnés, dans le Hainaut leur taux de conventionnement n’est que de 29 %.
Le nombre de personnes ayant recours aux soins psychologiques de première ligne a également augmenté ces deux dernières années, en particulier chez les jeunes. Près d’une personne sur vingt (4,1 % de la population belge) a déjà bénéficié de la convention depuis son lancement. Mais là aussi, cela varie selon la région, avec un recours plus élevé à Bruxelles qu’en Wallonie.
Plus de constats et de recommandations dans l’étude "Convention soins psychologiques de première ligne : un bilan 2019-2024".