Santé

Se réinventer dans la maladie

Vivre avec une maladie évolutive qui s'aggrave avec le temps, c'est comme faire un deuil sans fin et s'adapter constamment. Mais c'est surtout avancer dans la vie malgré le poids lourd des symptômes. 

Publié le: 17 septembre 2024

Mis à jour le: 26 septembre 2024

Par: Soraya Soussi

6 min

Une femme regarde la mer et son horizon

Photo : ©AdobeStock

"Pendant longtemps, j'ai eu honte de mon corps. Mes omoplates ressortent très fort dans le dos et ma bouche est tordue. C'était très compliqué quand j'étais adolescente. Je mettais beaucoup d'énergie à cacher mon corps". Marion a 15 ans quand elle reçoit son diagnostic : elle est atteinte de myopathie fascio-scapulo-humérale, FSH pour les intimes. Une maladie évolutive qui atrophie les fibres musculaires du visage, des bras et des jambes. "Dans certains cas, c'est par exemple impossible de soulever le bras ou la jambe", ajoute-t-elle. Comme Alzheimer, Parkinson, la sclérose en plaques, etc., la FSH fait partie des maladies dites "évolutives" : elles ne se guérissent pas (encore) et empirent avec le temps. Leur impact psychologique est considérable. Car finalement, comment supporter l'inconnu et l'incurable ? Et comment s'adapter au pire ?  

Soigner les mots 

Chaque maladie évolutive* a ses particularités. Certaines s'attaquent lentement au corps et/ou à l'esprit. D'autres sont fulgurantes. Elles peuvent arriver très tôt dans la vie d'une personne, comme la maladie de Charcot, ou à un âge plus avancé, comme Alzheimer. Mais dans tous les cas, l'annonce du diagnostic d'une maladie évolutive est un moment charnière. Déni, colère, tristesse… Pour de nombreuses personnes, c'est un véritable tourbillon émotionnel, similaire à un processus de deuil : le deuil de la santé, de la vie "normale" et de l'avenir tel qu'on l'avait imaginé. 

"À l'annonce de la maladie, la personne est généralement en état de choc. Elle entend le diagnostic mais ensuite, elle n'entend plus rien", décrit Florence Chanteux, psychologue au centre neuromusculaire des Cliniques universitaires Saint-Luc. Dans cet état, les informations que le médecin donne ultérieurement ne sont pas forcément enregistrées. "C'est un mécanisme de protection. Ne plus rien entendre nous protège de l'insupportable." D'autres mécanismes de défense propres à chaque personne peuvent s'enclencher par la suite. Parmi eux, le déni ou le déni partiel. "Dans le déni, la personne se dit que ce n'est pas juste, qu'il y a une erreur et part consulter un autre médecin, explique Florence Chanteux. Le déni partiel suggère que la personne a compris le diagnostic mais est convaincue que sa maladie ne va pas évoluer de la même façon. Ces personnes suppriment une partie de l'information pour faire face à l’inacceptable. Les proches sont également susceptibles de réagir de cette manière." 

Cette annonce est parfois sous-estimée par le corps médical. Car si la personne sous le choc n'entend rien sur le moment, elle se souviendra de tout une fois l'information "digérée", affirme la psychologue. Et la manière dont le diagnostic a été annoncé influencera l'état mental a posteriori. "Je l'ai vécu comme un effondrement total. Je savais que c’était grave mais je ne saisissais pas tout ce que le neurologue me disait car il utilisait un jargon incompréhensible, se souvient Marion. J'aurais aimé qu’il ait une approche plus humaine. C’était comme si je vivais une seconde maladie : celle de l'angoisse, de la honte, de la peur…" Pour Florence Chanteux, il est essentiel d'accompagner la personne dans l'annonce du diagnostic. De prendre le temps de lui expliquer ce qu'elle a, de s'assurer qu'elle a bien compris. "Les médecins peuvent, par exemple, proposer au patient de revenir plus tard ou de rappeler si besoin. Même si c'est sans espoir, ça fera toujours du bien de savoir qu'on est entouré."  

 

Transformer et s’adapter 

Le diagnostic posé, encore faut-il l'encaisser. Pour Marion, s'imaginer un jour en fauteuil roulant, c'était impensable. "C'était, pour moi, le signe physique le plus visible de ma maladie. Comme si j'allais passer de 'Marion' à 'une fille malade'". L'identité en prend un coup. C'est ce qu'on appelle en psychologie la "blessure narcissique". "Dans nos sociétés, nous nous définissons beaucoup par l'apparence physique et par nos activités. Or, quand la maladie rend moins beau, fait marcher de travers, empêche de travailler, de sortir avec des amis, de faire du sport comme avant… c'est l'identité à part entière de la personne qui peut être remise en cause", soulève Florence Chanteux.  

Vient ensuite le moment de le partager aux proches. "Dans ces cas-là, chacun réagit comme il peut. Il y a des personnes qui l'annoncent d'emblée à tout le monde. D'autres se contentent d'un cercle très restreint. Enfin, il y a ceux qui le cachent jusqu'au moment où ce n'est plus possible de gérer la maladie seul", développe Marc Dufour, directeur de la Ligue belge de la sclérose en plaques.  

Quand la maladie s’immisce dans le quotidien, elle impose une réorganisation permanente. Car un geste, un acte qui était faisable un jour, ne sera plus forcément réalisable le jour suivant. Ces deuils constants peuvent épuiser le malade et son entourage, d’autant plus s’il vit en couple ou en famille. La mémoire, la concentration et même la capacité à prendre des décisions risquent également d’être affectées, générant frustration et anxiété pour tout le monde.  

Enfin, il faut pouvoir accepter l’aide de l’autre lorsque l’on perd progressivement son autonomie. Pour le ou la patiente, cette situation est souvent compliquée et culpabilisante. "Et pour la personne qui soutient, porter la majeure partie des charges quotidiennes s’avère épuisant et parfois agaçant", complète Marc Dufour. Communiquer, au moment le plus opportun, reste le meilleur outil pour dépasser ces épreuves. "Demander une aide extérieure pour soulager les charges du quotidien (aide-ménagère), s'autoriser à sortir quand on est aidant proche, prendre du temps pour soi et l'autre... sont des petites choses qui peuvent soulager", conseille-t-il.  

 

Réapprendre à être soi 

Ces phases d'adaptation — pour ne pas dire d’acceptation — sont cruciales car elles ouvrent la voie à de nouvelles stratégies pour maintenir une qualité de vie, malgré la maladie. Certains trouvent des ressources auprès d’associations, dans des centres médicaux spécialisés dans les maladies évolutives, en participant à des groupes de parole, en suivant une psychothérapie, etc.  

Pour Marion, artiste illustratrice, c’est l’amour de sa famille, de ses amis et le soutien quotidien de son amoureux qui lui ont permis d’avancer. Son travail d’artiste, essentiel à son bonheur, la réalise. Elle a également installé une routine pour effectuer des exercices physiques auprès de son kiné. Cela lui permet de suivre l’évolution de son corps. Des lectures philosophiques sur la maladie et le handicap l’inspirent. Elles nourrissent un long processus de déconstruction et de réflexion sur l’invalidité, sur la façon dont la société perçoit les personnes porteuses d’un handicap. L’artiste rencontre aussi sur son chemin des personnes qui éclairent certains aspects de son rapport à la maladie ... Bref, Marion se transforme, s’accomplit pleinement et illustre tout cela dans un film, "Marion ou la métamorphose" (voir encadré). Un documentaire poétique et touchant qui révèle, enfin, comment vivre en se réinventant chaque jour.  

*Les personnes porteuses de ce type de maladie et les experts interviewés préfèrent utiliser le terme "évolutif" plutôt que "dégénératif", jugé trop péjoratif et dévalorisant.