Incapacité de travail
Pourquoi notre corps réagit-il instinctivement au rythme d'une musique entraînante ? Les travaux de Sylvie Nozaradan, docteure en neurosciences à l'UCLouvain, tentent de répondre à cette fascinante question.
Publié le: 30 mars 2024
Par: Julien Marteleur
3 min
Photo: © Jérôme Baudet
Taper des mains ou du pied, bouger la tête, claquer des doigts… Non, il ne s'agit pas des signes avant-coureurs d'une crise de possession diabolique. Mais quand "la musique est bonne", difficile de résister à l'appel du tempo ! Cette capacité de l'être humain à "imiter" physiquement un rythme musical intrigue depuis longtemps la chercheuse Sylvie Nozaradan. Neuroscientifique et pianiste diplômée du Conservatoire de Bruxelles, la jeune femme mène aujourd'hui ses recherches au sein du Rhythm and Brains Lab — qu'elle dirige également — à l'Institute of Neuroscience (IONS) de Bruxelles. Ses travaux, entamés il y a plus d'une décennie, visent un objectif : comprendre comment le cerveau humain perçoit et produit des rythmes musicaux.
Avec son équipe, Sylvie Nozaradan a découvert que nos neurones sont capables de se synchroniser au rythme de la musique, qu'il s'agisse d'un tempo clair ou non, comme dans la musique jazz ou afro-cubaine, où la signature rythmique est parfois très syncopée. "Au regard des images produites par les électro-encéphalogrammes, on se rend compte que l'activité cérébrale entre en rythme, en pulsation avec ce que l'oreille entend. En quelque sorte, le cerveau 'pulse' — en temps réel — à la même fréquence que la musique", s'enthousiasme la neuroscientifique.
Dirigé par un cerveau transformé en métronome, notre corps s'alignerait instantanément au rythme diffusé par ces fréquences internes… et le traduirait en mouvement ! Il y aurait donc une interaction spontanée entre de nombreuses aires cérébrales, dont les aires motrices et auditives. Ce qui expliquerait pourquoi certains d’entre nous n'ont pas du tout le "rythme dans la peau" : selon la neuroscientifique, cette "anomalie" trouverait son origine dans la manière dont les aires auditives et les aires motrices sont connectées. "On parle alors de différences structurelles du cerveau, dans lequel les connections entre les aires se font de manière un peu plus désynchronisée."
Si notre cerveau semble naturellement "programmé" pour percevoir le rythme, cette capacité évolue aussi en fonction du temps d’exposition : "Une écoute passive et répétée peut aussi servir d'apprentissage non formel au rythme. Cette question de l'apprentissage rythmique est très intéressante. Dans nos sociétés occidentales, on instruit le rythme de manière très formatée — par le solfège essentiellement. Mais dans d'autres cultures, cet apprentissage se fait 'physiquement', à travers la danse ou la pratique d'un instrument. Durant nos recherches, on s'est aperçus que les fréquences rythmiques sont boostées par le cerveau après avoir dansé au préalable sur de la musique. Les mouvements s'impriment dans le système nerveux et sont réactivés lorsqu'on soumet à nouveau l'oreille à ce rythme."
Cette faculté à bouger en rythme semble propre au genre humain, observe Sylvie Nozaradan avec fascination. "Un chat ne saura jamais danser en rythme ou jouer de la musique ! Si l'on retrouve des 'rudiments' de reproduction du rythme chez certains grands singes, l'humain, lui, se synchronise instinctivement à la pulsation musicale." Mais pourquoi cette capacité, qui à première vue n’a rien d’essentiel pour notre survie, s’est-elle inscrite dans notre évolution ? "La musique et la danse ont une place particulière dans les sociétés humaines. Cette communication non verbale se retrouve dans beaucoup d’événements de la vie, de la naissance jusqu’à la mort", souligne Sylvie Nozaradan. Bouger ensemble au rythme de la musique, ajoute-t-elle, consoliderait les effets de groupe, en amplifiant la cohésion sociale et la connexion entre les personnes. Et serait finalement plus utile qu’on le pense...