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Loin d’être une hypothèse lointaine, les changements climatiques ont déjà des effets concrets sur notre santé. Aux premières loges, les médecins généralistes se mobilisent pour alerter leurs patients et adapter leurs pratiques.
Publié le: 07 décembre 2023
Par: Barbara Delbrouck
7 min
Photo: © Getty Images - Les médecins sont inquiets pour la santé de la planète et celle de leurs patients.
Un samedi matin, dans les locaux de la Société scientifique de médecine générale (SSMG). Une douzaine de médecins sont rassemblés pour une formation donnée par la cellule environnement de l'asbl qui représente les généralistes. La chaleur qui règne dans la pièce en ce mois de septembre fait écho à la thématique du jour : le changement climatique. Venus de partout, les participants ont un point commun : ils sont inquiets pour la santé de la planète et celle de leurs patients. "J'ai été sensibilisé lors de la pandémie de Covid où on était en première ligne, raconte un participant. En me renseignant, j'ai découvert qu’il y avait une accélération des fréquences des zoonoses, ces maladies animales transmises à l’humain, comme le Covid, liée à la dégradation des écosystèmes. Cela m’a fait peur et j’ai eu envie d’agir." Une autre confie : "Mes patients m’interpellent souvent sur ces questions. J’avais envie de me former pour pouvoir leur répondre." Depuis 4 ou 5 ans, les demandes de formations se multiplient, confirment Sébastien Cleeren, Marie-Christine Dewolf et Céline Bertrand, membres de la cellule environnement et formateurs du jour. Autre preuve d'intérêt, la cellule est passée de deux à quinze volontaires.
"Les études le prouvent, la santé des patients est déjà impactée par le changement climatique et la pollution dans toutes les spécialités médicales", souligne le Dr Sébastien Cleeren. On pense d’emblée aux effets des canicules, qui provoquent chaque été une hausse de la mortalité. Mais il y a aussi des impacts plus subtils comme l'augmentation et l'aggravation des allergies aux pollens. Après des inondations, les personnes qui retournent dans leur maison peuvent développer des problèmes respiratoires à cause du développement de moisissures. Lors des vagues de chaleur, les intoxications alimentaires sont favorisées par la prolifération d'algues toxiques dans l'eau, la plus forte concentration d'ozone dans l'air augmente les troubles respiratoires…
"Les médecins se sentent parfois illégitimes d'aborder les questions environnementales avec leurs patients, constate Sébastien Cleeren. Mais si on se réfère au serment d’Hippocrate et à loi sur les droits des patients, ils ont le devoir de les informer des risques pour leur santé". En 2019, l’organisation mondiale des médecins de famille lançait un appel aux généralistes du monde entier à agir en ce sens. En contact direct avec les patients dans leur environnement, ceux-ci sont reliés à leurs réalités concrètes et locales.
"One health" est une approche globale, soutenue par l’OMS, qui reconnait que la santé des humains, des animaux et de l’environnement sont étroitement liées et interdépendantes. Si l’un va mal, les autres en pâtissent. Mais si on agit positivement sur l’un, les autres en bénéficient également. En effet, de nombreuses actions éco-responsables vont avoir un impact positif sur notre santé, comme se rendre à vélo au travail ou manger local et bio. On parle de co-bénéfices pour la santé et l’environnement !
La SSMG pousse les universités à former les futurs médecins à ces évolutions. En 2022, les premières heures de cours ont été intégrées en Master 1 à l’UCLouvain. Des certificats universitaires en médecine environnementale ont également été mis sur pied à l’ULB et à l’ULiège. "Les programmes des cours de base doivent aussi évoluer et intégrer les aspects de santé environnementale de manière transversale, suggère Sébastien Cleeren. Par exemple, aborder les moustiques tigres, qui sont de plus en plus présents en Europe, dans les cours généraux de pathologies infectieuses et plus seulement en médecine tropicale. Ou encore, inclure l'impact de la pollution et des canicules dans les cours de pathologies cardiovasculaires."
Paradoxalement, le système de santé contribue à la dégradation de l’environnement. Il représente à lui seul 5,5 % des émissions de gaz à effets de serre en Belgique (1). Il est en outre grand consommateur de ressources et producteur de déchets et de pollution. La SSMG et plusieurs initiatives internationales encouragent les hôpitaux et les cabinets à réduire leur impact. Un projet pilote a notamment été lancé pour instaurer une démarche éco-responsable dans les maisons médicales et créer un guide de bonnes pratiques. Environ un tiers de l’impact carbone d’un cabinet médical vient du transport (essentiellement des patients et du personnel) ainsi que du chauffage, estime le Dr Cleeren. Avant même de toucher aux pratiques médicales, il y a déjà moyen de réduire fortement l'empreinte d'un cabinet : isoler le bâtiment et baisser le thermostat d'un degré, encourager d'autres modes de transport, réduire la consommation d'électricité et opter pour un fournisseur plus vert, allonger la durée de vie des ordinateurs, choisir une banque qui n'investit pas massivement dans le carbone…
La prescription de médicaments constitue en fait le premier poste d’émissions des cabinets médicaux (2). En cause : l'extraction des matières premières (souvent des dérivés de pétrole), la production énergivore et délocalisée, le suremballage… Les médicaments provoquent en outre une micropollution des eaux (via les résidus dans nos urines et selles notamment), nocive pour l’environnement et la santé. "Il est crucial d’agir aussi à ce niveau, martèle le Dr Cleeren. Il faut revenir à un usage raisonné des médicaments, des imageries, des chirurgies… À chaque prescription, il faut se demander s’il existe une alternative non médicamenteuse, comme de la kiné ou l'adaptation du mode de vie."
Lorsque les médicaments s'imposent, des classements comme le Hazard score permettent de choisir le moins polluant. Au niveau des imageries, les échographies s'avèrent moins polluantes que les scanners et les IRM. "Au final, Il faut surtout réinvestir dans le rôle de prévention et d’éducation à la santé des médecins, conclut le formateur. Le meilleur médicament est celui dont on n’a pas besoin car le patient va bien ! Le système de santé doit évoluer." Un changement de paradigme qui répond aux aspirations des médecins présents dans la salle. "La médecine curative est usante, partagent-ils. On a l’impression de rustiner un bateau troué de toutes parts. On veut revenir à une médecine préventive, plus inspirante et durable." Le mot d’ordre est lancé…
Références
(1) Rapport "Health Care Without Harm", septembre 2019
(2) Tennison & al, Health care's response to climate change: a carbon footprint assessment of the NHS in England. Lancet Planet Health, 2021