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Il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que bien des familles sortent du schéma classique "papa-maman-enfant". Singulières et plurielles à la fois, chacune porte son lot de richesses et de difficultés quotidiennes. Portraits de quatre familles d'aujourd'hui…
Publié le: 21 novembre 2023
Par: Barbara Delbrouck et Soraya Soussi
7 min
Illustration: © Marie Mahler - Singulières et plurielles à la fois, chaque famille porte son lot de richesses et de difficultés quotidiennes.
Après quelques années ensemble, Vinciane et Sarah décident de fonder une famille. Un projet qui s'impose à elles comme une évidence. Elles se lancent alors dans un processus de procréation médicalement assistée (PMA), grâce à un donneur anonyme. "Il était clair entre nous que ce serait moi qui porterais notre fille, car ma compagne ne se sentait pas prête, raconte Vinciane. Nous avons eu de la chance d'habiter en Belgique car en France, d'où je suis originaire, la PMA n'était pas permise pour les couples homosexuels à l'époque." Après une procédure longue et difficile, Vinciane tombe enceinte, mais le couple va mal et se sépare lorsque leur bébé a 5 mois. Assez vite, chacune reconstruit sa vie. Julie, qui a aujourd'hui 12 ans, a donc grandi entourée de deux mamans et deux belles-mamans, qu'elle considère aussi comme ses mamans.
Une configuration hors norme et source de beaucoup d'amour, mais pas toujours facile à assumer pour une jeune ado. "À l'école, Julie doit souvent expliquer notre situation à ses profs, ses copains… Quelque part, elle doit faire notre 'coming out' à notre place, confie Vinciane. Ce n'est pas facile. Surtout à son âge, où on a envie d'être comme les autres, de se fondre dans la masse. Parfois, elle trouve des astuces pour éviter le sujet. Ce n'est pas qu'elle a honte, mais elle n'a pas envie d'être différente… Elle est soulagée quand les gens sont au courant au final. Notre situation est particulière, donc nous devons être créatifs. Mais je pense qu'une famille recomposée, qu'elle soit homo ou hétéro, c'est une famille qui doit s'inventer, s'adapter… Et ça apporte en fait beaucoup de richesse. Nous avons toutes des personnalités très différentes, ce qui lui offre un panel de modèles. Même si c'est ma fille biologique, Julie ne me ressemble pas physiquement. Elle sait que dans notre famille, les liens ne sont pas liés à la génétique, mais plutôt au projet qu'on a construit autour d'elle."
Source : Baromètre annuel des parents de la Ligue des familles.
Née d'un père belgo-libanais et d'une mère belge, Maïa a été éduquée dans une famille non-religieuse. Très tôt, ses parents l'ont encouragée à avoir ses propres opinions et elle a toujours joui d'une grande liberté dans ses choix de vie. À 17 ans, elle se convertit à l'Islam. Vivant avec sa mère athée, elle craignait que cela la dérange. "Je lui ai écrit une lettre lui disant que si cela posait un problème, je pouvais partir de chez elle. Elle m'a répondu que du moment que j'étais heureuse, c'était le principal."
Quelques années plus tard, elle rencontre Moussa, Sénégalais et musulman lui aussi. "Moussa a grandi entre la Belgique, le Sénégal et le Japon. Il a toujours porté ces trois cultures dans sa vie." Le couple partage leur foi ensemble… et leur toit avec la maman de Maïa. "On sort clairement du cadre classique 'papa, maman, enfant'. Mais les échanges intergénérationnels sont si précieux." Aujourd'hui, le couple a une fille de deux ans, Imany. Si la cohabitation se passe à merveille, Maïa est aujourd'hui en pleine réflexion sur la façon de célébrer les fêtes de fin d'année avec sa fille dans quelques années. "Soucieuse que notre enfant porte les mêmes croyances que nous, il est vrai que je ne sais pas encore comment nous allons gérer cela au sein de notre famille, avec ma maman notamment. Car elle tient énormément à fêter Noël avec sa petite-fille. La question sera de savoir : si on fête Saint-Nicolas et Noël, comment les fête-t-on ? Comment faire rencontrer et respecter les croyances et cultures de chacun et chacune ? Car si nous souhaitons transmette notre foi à notre fille, c'est aussi important pour nous qu'elle ne soit pas marginalisée en l'excluant de ces traditions occidentales, culture dans laquelle elle grandit et qui fait partie d'elle aussi."
Un quart des familles belges d'aujourd'hui sont monoparentales. Une appellation qui rassemble des histoires de vie diverses, où l'autre parent peut encore être présent dans la vie de l'enfant ou pas. Caroline, pour sa part, est une maman 100 % solo. Dans son cas, car elle n’a pas trouvé à temps "la bonne personne". "À un moment, on sait que l'horloge biologique tourne…, partage-t-elle. J'ai toujours voulu des enfants, je n'imaginais pas ma vie sans… Alors vers 35 ans, j'ai décidé d'agir." Caroline envisage d'abord l'adoption, mais celle-ci n'est permise aux célibataires que pour les enfants avec un handicap, ce qu'elle ne sent pas capable d'assumer seule. Elle se tourne alors vers la procréation médicalement assistée, qui lui permet de fonder sa famille. Elle donne naissance à un fils et une fille, qui ont à présent 10 et 12 ans.
"J'avais vu de nombreuses femmes tout gérer seules, même si ce n'était pas par choix, donc je me suis dit que je devais pouvoir y arriver, raconte-t-elle. Le plus dur au quotidien est de ne pas pouvoir se reposer sur quelqu'un. Surtout pendant les deux premières années, il n’y a que toi pour te lever quand le bébé pleure la nuit, pour aller le conduire à la crèche, faire les courses... Même si tu es malade, tu dois assurer. Et ce 7 jours sur 7, 365 jours par an. Pour le reste, c'est surtout de l'organisation !"
L'autre grande difficulté est d'assumer financièrement en solo, confie Caroline, qui regrette que les allocations familiales ne soient pas majorées lorsque tout repose sur un seul salaire. "Même si ma famille ne correspond pas au schéma classique, je ne me sens pas anormale. Dans mon entourage, il y a beaucoup de familles différentes : parents solos, LGBT, recomposées… Mes enfants ne se sentent pas comme des extraterrestres ! Je n'ai jamais regretté ma démarche. Si certains amis ont eu plus de mal à l'accepter, je pense qu'elle n'est pas si éloignée de celle d'un couple. L'envie de laisser une trace et de créer son noyau familial, où les liens sont si forts."
Parfois, en tant que journaliste, les réponses à nos questions se trouvent sous notre nez, dans notre vie privée. Mon demi-frère, Elias Soussi, porte un regard éclairé sur notre famille recomposée que j'ai souhaité exposer ici pour terminer cet "article-témoignage". Après le divorce de mes parents, mon père a refait sa vie avec une femme et ont eu quelques années plus tard, Ismaëla, ma demi-soeur et Elias. Ensuite, leurs parents se sont aussi séparés. Leur mère s'est remariée à un homme qui avait déjà des enfants. De son côté, mon père a rencontré une femme qui avait, elle aussi, une enfant…
"On ne choisit pas sa famille, c'est connu. Et bien, quand elle est recomposée, on a le sentiment d'encore moins la choisir. Tant pis, si on ne s'entend pas avec son beau-père ou sa belle-mère ou leurs enfants. On n’a pas d'autre choix que de les accepter." Ce qui est néanmoins essentiel pour faire famille selon lui, "c'est l'attachement, la stabilité et la fiabilité. Même si on ne s'entend pas avec ses beaux-parents, le fait qu'ils soient présents dans nos vies, qu'ils participent à notre éducation, partagent un quotidien avec nous sur le long terme crée le lien familial." Pour mon demi-frère, les relations entre les membres de la famille recomposée se construisent avec le temps. Car il en faut pour apprendre à s'apprivoiser, à se respecter, à se comprendre…
Chacun doit pouvoir avoir une place pour exister dans une nouvelle dynamique. "Ce qui est bien dans la cohabitation de ce type de famille, c'est que les personnes évoluent à la rencontre des autres. Le fait d'être hors de sa zone de confort, de devoir revoir ses habitudes, les règles à la maison, ses points de vue, d'être dans le conflit qui fait parfois réfléchir… est certes fatiguant, mais cela fait grandir tout le monde, je pense."