Consommation
Pour Anne Léonard, Secrétaire nationale de la CSC, assurer l’avenir de la sécurité sociale, c’est revenir à ses fondements : être un outil de redistribution des richesses, financé par des emplois stables et de qualité.
Publié le: 20 novembre 2024
Par: Propos reccueillis par Joëlle Delvaux
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Illustration: © PAF! Design
Joëlle Delvaux : Qu'auriez-vous envie de dire à la sécurité sociale à l'occasion de ses 80 ans ?
Anne Léonard : Je la remercierais d'avoir prouvé son utilité tout au long de ces 80 ans et lui souhaiterais de pouvoir encore fêter longtemps son anniversaire. Si l'on prend un exemple récent, durant la période du Covid, elle a fait preuve de flexibilité et de réactivité pour protéger un maximum de personnes. Nous-mêmes, interlocuteurs sociaux, avons ouvert certaines brèches. Cela montre à la fois la capacité de la sécurité sociale de s’adapter et l’importance de la rendre toujours plus performante. Elle doit rester aussi adéquate que possible dans ses volets assurantiel et solidaire. D’une part, lorsqu’un risque survient (maladie, licenciement, accident de travail...) ou qu'arrive l'âge de la retraite, il faut que les travailleurs bénéficient d’une large couverture. D'’autre part, les prestations sociales doivent offrir une protection efficace contre la précarité.
JD : Comment concrètement ?
AL : ll est essentiel de préserver le mécanisme d’indexation automatique des allocations sociales qui permet de les adapter à l'évolution du coût de la vie. Il est tout aussi important, au-delà de l'indexation, de maintenir chaque année l'enveloppe bien-être (dont le budget est garanti par le gouvernement fédéral, NDLR) qui vise à rattraper l'évolution générale du pouvoir d'achat. Lorsque nous négocions avec les représentants patronaux la répartition de cette enveloppe, nous sommes attentifs à augmenter les allocations sociales minimales qui se situent en dessous du seuil de pauvreté et à revaloriser les allocations maximales qui sont en fort décrochage par rapport à la réalité du pouvoir d'achat des travailleurs.
JD : Quels sont, selon vous, les défis majeurs pour la sécurité sociale aujourd'hui ?
AL : Il y a plusieurs défis à relever. La pérennité de notre système dépend beaucoup de notre capacité, en tant que gestionnaires de la sécurité sociale, à prendre la mesure des changements en cours : la digitalisation, les dérèglements climatiques... Nous devons aussi adapter la sécurité sociale aux nouvelles réalités du travail comme le développement des contrats de travail atypiques, les demandes légitimes d'une meilleure conciliation entre vie professionnelle, vie familiale et temps libre. Il faut aussi davantage tenir compte des besoins des familles monoparentales.
Mais, selon moi, le défi majeur a trait à la hausse importante et continue du nombre de malades de longue durée. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance inquiétante : le manque de politiques de prévention sur les lieux de travail, la pénibilité accrue de certains métiers, la charge de travail excessive, la flexibilité à outrance, le durcissement des fins de carrière - notamment la suppression des prépensions - sans réelles possibilité de gérer l'ensemble de sa carrière. Comment la sécurité sociale peut-elle prendre en charge et accompagner ces situations, c'est là tout l'enjeu.
JD : Vous parlez des malades de longue durée. Qu'en est-il des chômeurs de longue durée ?
AL : Avec la flexibilisation croissante du marché du travail, de plus en plus de personnes enchaînent des périodes d'intérims et de courts contrats pendant leur chômage. Ces périodes sont souvent trop courtes pour que ces personnes puissent reconstituer leurs droits sociaux. Résultat ? Cette anomalie grossit artificiellement les chiffres du chômage de longue durée. Cela fait partie des incohérences qu'il faut corriger pour rendre notre système de protection sociale plus efficace. Il y en a d'autres. Par exemple, concernant l'incapacité de travail, il faudrait supprimer le statut de travailleur irrégulier, devenu obsolète, et octroyer une indemnité minimale dès le premier mois d'indemnisation.
JD : La suppression du statut de cohabitant fait-il partie de vos priorités pour renforcer le caractère assurantiel de la sécurité sociale ?
AL : La suppression du statut de cohabitant nécessite incontestablement des moyens budgétaires importants. Il ne faudrait pas qu’en supprimant le statut de cohabitant, on précarise le statut de chef de ménage, qui est seul pour prendre en charge sa famille. Il faut trouver le moyen de financer cette mesure afin de ne pas créer de nouvelles poches de pauvreté.
A. Léonard
JD : La sécurité sociale subit des attaques néolibérales depuis plus de 40 ans. Mais on a l'impression qu'elle traverse aujourd'hui une crise de légitimité plus profonde ? Partagez-vous cette analyse ?
AL : Il y a, en tout cas, une ingérence de plus en plus forte du politique dans la sécurité sociale avec la volonté de de certains partis de désinvestir dans ce système et de réduire drastiquement les dépenses. Mais on constate aussi un désengagement du monde patronal qui considère de plus en plus la sécurité sociale comme un coût, une charge qui entrave la compétitivité des entreprises. Pourtant, à l’origine, elle était perçue par les partenaires sociaux comme un instrument de juste redistribution des richesses permettant d'assurer la prospérité socio-économique du pays. Il est important de rappeler cette vision, et de continuer à soutenir un système de sécurité sociale équilibré et bien financé.
JD : Quelles sont les propositions de la CSC pour garantir un système solidaire correctement financé ?
AL : En premier lieu, nous devons recréer un environnement favorable à la création d'emplois stables et de qualité. La flexibilité excessive érode les droits des travailleurs et l’accès à la sécurité sociale. Dans le même temps, il est essentiel de préserver le financement de la sécurité sociale en luttant contre la fraude et les formes d'évasion aux cotisations sociales. Les interlocuteurs sociaux ont un rôle clé à jouer pour garantir un système solide et efficace.
A la CSC, nous sommes favorables aussi au financement des soins de santé par une cotisation sociale généralisée. Tous les revenus, y compris ceux du capital, doivent contribuer à cette couverture généralisée. Cela étant, cette branche doit être maintenue dans la sécurité sociale fédérale pour garantir la cohérence du système et conserver le mode de gestion paritaire et la concertation sociale, tels qu'ils fonctionnent et qui en font toute sa richesse. On voit bien ce que la régionalisation des allocations familiales a provoqué : des conditions et des montants différents entre les 4 systèmes mais aussi, en Flandre et en Communauté germanophone, une mainmise complète du gouvernement (flamand ou germanophone), sans plus aucune gestion paritaire.
JD : Comment, selon vous, redonner du sens à la sécurité sociale dans une société de plus en plus individualiste ?
AL : Il faut rappeler sans cesse ce qu'est la sécurité sociale et son importance dans la vie de tout un chacun. Beaucoup de gens en bénéficient sans comprendre ce qu'elle représente vraiment. Il est essentiel de la considérer comme un investissement et un système de redistribution des richesses, et non comme une charge. Il est également crucial de la rendre plus visible et compréhensible pour le public.
A.Léonard