Incapacité de travail
N'en déplaise à certains, vieillir fait encore partie de la vie ! Avec ce dossier, En Marche veut rappeler l'importance d'exprimer autour de soi, tant qu'on le peut encore, ce que l'on souhaite pour sa vieillesse. Pour rester metteur en scène, jusqu'au bout, du dernier acte de son existence.
Publié le: 20 février 2024
Par: Julien Marteleur
6 min
Photographie: (c)Yves Debuisson
Le sourire radieux qui illumine l'image illustrant cet article, c'est celui de Bernadette. Ses deux petites-filles l'embrassent sans retenue, la scène transpire l'amour et le bonheur d'être ensemble. Dans le cadre du projet "Vivre c'est vieillir" du Pôle de Liège/Waremme de la MC, ce cliché a été retenu — ainsi que 20 autres — pour faire partie d'une exposition photo sur la thématique (1). L'un des objectifs ? Lutter contre l'âgisme en montrant une autre image de la vieillesse.
Dans une société basée sur l'instantané et le culte de la performance, cette période de l'existence reste encore stigmatisée, associée au déclin physique et à la perte d'autonomie. À la mort, aussi. La crise sanitaire a par exemple été un révélateur macabre des inégalités face à l'âge. Alors, pour protéger les "vieux" du Covid-19, la société les a largement dépossédés de leurs choix de vie.
Pour Énéo, mouvement social des aînés de la MC, cette vision d'une vieillesse vulnérable "a des conséquences tout à fait concrètes sur la manière dont les personnes âgées sont non seulement perçues, mais aussi soignées, accompagnées, reconnues. Ainsi, la vision paternaliste de la personne vieillissante, l’empêche bien souvent de rester actrice de ses choix, tout au long de son parcours de vieillissement. On constate souvent des confusions entre l’autonomie et l’autodétermination d’une part, et entre la perte d’autonomie et la dépendance d’autre part."
En Belgique, 32,5 % de la population aura plus de 60 ans d'ici 2050. Avec l'allongement de l'espérance de vie, ce qu'on appelle la "fin de vie" dure de plus en plus longtemps et va concerner de plus en plus de monde. "Les gens associent bien trop vite la vieillesse à la mort, qui reste un tabou sociétal. Or, ce n'est pas parce qu'on ne parle pas de la fin de vie qu'on ne va pas mourir !", ironise Christine Calvaer. Animatrice Énéo en Brabant Wallon, elle informe les membres sur le "Carnet de vie" (3). Réalisé par les volontaires du mouvement, l'outil accompagne les aînés dans leurs démarches administratives et légales dans plusieurs domaines (finances et patrimoine, santé, décès, etc.) et aide à entamer une réflexion personnelle sur les valeurs que la personne souhaite transmettre : "On peut y inscrire son parcours de vie, son arbre généalogique, ses convictions philosophiques ou religieuses… Bref, tous ces petits et grands événements qui ont fait ce que la personne est ce qu'elle est", résume Christine Calvaer. "Mon carnet de vie" n'a pas de valeur juridique mais permet, en couchant les choses sur le papier, de se réapproprier sa fin de vie et d'ouvrir le dialogue sur la question avec sa famille, son médecin…
Énéo propose aussi un autre outil de communication autour de la vieillesse, plus ludique celui-ci : "Mes souhaits de vie". Sur chacune des 37 cartes de ce "jeu", sont inscrites des affirmations sur la fin de vie à trier par ordre d'importance. Cela compte-t-il pour moi d'être entouré ? De ne pas souffrir ? De rester chez moi jusqu'à la fin ? À jouer seul ou à plusieurs, sans limite d'âge, "Mes souhaits de vie" ouvre la voie à l'échange. "Certaines personnes sont prêtes à regarder leur fin de vie droit dans les yeux, mais n'ont personne à qui le faire savoir, souligne Caroline Elias, responsable action locale à la MC Brabant wallon. Le jeu n'est pas là pour dédramatiser la fin de vie, qui n'est pas forcément heureuse pour tout le monde. Il cherche, à son échelle, à lever le tabou en posant les mots justes, dans toute leur réalité : la souffrance, l'isolement… Car c'est ce déni autour des questions entourant la fin de vie qui crée le manque de communication, et celui-ci peut parfois mener à des situations de maltraitance."
Chez Respect Seniors, on connaît ces histoires malheureuses où, sous couvert de bienveillance envers la personne vieillissante, l'entourage ou le corps médical va l'infantiliser à outrance. "Cette infantilisation ne prend pas en compte la présomption de compétence de la personne, explique Pascale Broché, psychologue au sein de l'asbl, qui lutte contre la maltraitance des aînés et accompagne les personnes en souffrance. La maltraitance peut s'exprimer physiquement bien sûr, mais elle prend souvent d'autres visages : sous prétexte de son âge, la famille interdit à la personne de sortir ou de vivre chez soi, de conduire, de gérer ses finances ou même d'aller voter… alors qu'elle est entièrement en droit et encore en capacité de poser ses choix."
Dans 50 % des cas, révèle Respect Seniors, ces situations de maltraitance sont intra-familiales. En cause : le rapport affectif, parfois tissé de pudeur et de non-dits. Là encore, la psychologue insiste : il faut oser franchir le pas du dialogue, en gardant en tête que tout ne sera pas facile à entendre. "Dans mon vieillissement, qu'est-ce que je voudrais ? Quand ça n'ira plus, qui va gérer mes sous ? La mort fait partie de la vie, si on reste dans l'évitement, quelqu'un d'autre devra faire des choix pour nous, que ce soit une fille, un frère ou un médecin. Sans parler des conflits qui peuvent découler d'un manque de communication claire."
Dans une récente étude réalisée auprès de 4.000 membres, la MC révélait qu'une personne interrogée sur cinq avait déjà vécu un conflit familial autour de la fin de vie d'un proche. Et ce parfois, au sein de familles où tout s'était toujours déroulé harmonieusement. Si les raisons sont diverses (pathologie difficilement gérable, mésentente entre membres d'une fratrie, questions financières), les constats sont similaires : ces discordes ont eu un impact négatif majeur sur la santé physique et mentale des personnes concernées et ont conduit à un processus de deuil plus difficile pour les familles. Ces conclusions malheureuses, soulignent les chercheurs de la MC, auraient pu être largement évitées avec un meilleur accompagnement professionnel, qu'il soit à l'initiative d'un notaire ou d'un prestataire de soins par exemple.
Au milieu du siècle dernier, la romancière Simone de Beauvoir donnait une définition simple de la vieillesse : "Quand vivre ne va plus de soi". Ce "travail de vieillir", qui implique d’accepter la lente érosion du corps et de l’esprit, est intemporel. Mais il existe désormais des outils qui permettent d'engager plus sereinement cette dernière étape de la vie, durant laquelle des souhaits, des projets et des envies bien concrets peuvent cohabiter avec des considérations plus philosophiques. Qu'il s'agisse de trouver un lieu de vie adapté à ses besoins avec Senoah et Infor-Homes Bruxelles, d'être accompagné dans ses démarches administratives avec Énéo ou ÉclairÂges, ou encore de baliser son chemin thérapeutique avec son médecin, la vieillesse ne doit pas forcément se vivre comme un naufrage annoncé. Et tant pis pour Madame de Beauvoir…
(1) Pour plus d'infos concernant les dates et lieu de l'exposition : [email protected]