Incapacité de travail
Et si l’euthanasie rendait la société plus humaine ? Corinne van Oost, médecin en soins palliatifs depuis plus de trente ans et ancienne membre de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, dialogue dans son second livre avec de nombreux intervenants de terrain. Dans son ouvrage "L'euthanasie au seuil des soins palliatifs", elle répond à celles et ceux qui continuent d’opposer les soins palliatifs et l’euthanasie et montre qu’elle se pratique aussi dans les hôpitaux catholiques.
Publié le: 20 février 2024
Par: Valentine De Muylder
4 min
Photographie: (c)AdobeStock
En Marche : À la lumière de votre longue expérience de médecin en soins palliatifs, pensez-vous que l’euthanasie peut être considérée comme un dernier acte de soin ?
Corinne van Oost : Je veux que les patients en demande d’euthanasie aient accès à la philosophie des soins palliatifs, selon laquelle il faut prendre soin des quatre dimensions de la personne malade. D’abord par un accompagnement médical, pour la rendre au maximum confortable. Mais aussi par un accompagnement psychologique, un accompagnement des proches, et un accompagnement spirituel. Dans ces conditions, il n’y a pas d’opposition entre soins palliatifs et euthanasie, mais un continuum de soins. L’euthanasie devient alors un soin, parce qu’on reconnaît qu’on est dans l’impuissance pour soulager la personne autrement et qu’on lui permet de mourir dans les meilleures conditions possibles. Mais il est important de rappeler que les situations où les demandes d’euthanasie persistent après les soins palliatifs sont très rares. Dans 95 % des cas, on arrive à soulager la douleur ou la souffrance.
EM : Vous êtes d’origine française. Pensez-vous que le modèle belge puisse éclairer le débat autour de la dépénalisation de l’euthanasie dans d’autres pays, comme la France ?
CvO : En France, les gens qui sont contre l’euthanasie disent : 'on n’a pas besoin de l’euthanasie, on a la sédation médicale et continue jusqu’au décès'. Ça m’inquiète. Cette sédation, qui rentre dans le cadre des soins palliatifs, n’est pas une bonne solution pour remplacer l’euthanasie. Elle ne peut se faire que dans les 15 derniers jours de vie, et elle rompt toute communication avec le patient. Or le grand principe des soins palliatifs, c’est la relation. Je trouve qu’avec ses trois lois (de 2002 sur les soins palliatifs, l’euthanasie et les droits du patient, NDLR), la Belgique est un pays modèle. Elle a fait ce que les soins palliatifs voulaient faire : sortir un peu la mort du tabou. Le fait que les patients puissent choisir jusqu’où ils veulent aller dans leur agonie a rendu la fin de vie beaucoup plus libre pour les Belges. Les gens ont moins peur de parler de la mort parce qu’ils se la réapproprient. Elle n’appartient plus uniquement aux médecins.
EM : Pourquoi avoir choisi de consacrer les derniers chapitres de votre livre à l’accompagnement spirituel des soins palliatifs et de l’euthanasie ?
CvO : Cela me tient à cœur parce que l’accompagnement spirituel reste le maillon faible des soins palliatifs. Les aumôniers et aumônières ne sont pas intégrés aux équipes de soins. Ils ne sont pas nommés par l’hôpital mais par leur tradition (centre d’action laïque, évêques…) et vivent leur accompagnement un peu à part. J’ai découvert qu’au Québec, ils avaient créé un nouveau métier, reconnu et financé : les intervenants en soins spirituels. Ils sont capables d’accompagner les personnes dans toutes leurs traditions et participent aux équipes pluridisciplinaires dans les hôpitaux. C’est très intéressant. En Belgique, les choses avancent. On forme de plus en plus les aumôniers à être dans la question des valeurs avant d’être dans la prière, à écouter les difficultés de sens. Chez les gens âgés qui demandent l’euthanasie, on trouve souvent une souffrance existentielle : 'Je deviens dépendant, ma vie n’a plus de sens, je préfère mourir'. Avoir des ressources d’accompagnement est donc un enjeu important.