Incapacité de travail
L’intelligence artificielle est déjà utilisée en médecine. Ce n’est qu’une question de temps – et d’aucuns s’y mettent déjà ! – avant qu’elle fasse son entrée dans les cabinets des médecins… au point de s’y substituer ? À voir !
Publié le: 18 décembre 2023
Par: Candice Leblanc
12 min
Photo : © Adobe Stock - Dans tous les domaines où l’iA se développe se pose en filigrane la question de la place (future) de l’humain.
La spécialité médicale actuellement la plus concernée – et peut-être la plus menacée ! – par l’émergence du machine learning est sans doute l’imagerie médicale (radiologie, médecine nucléaire). Après avoir conçu des appareils qui permettent de "voir" de plus en plus précisément à l’intérieur du corps, ingénieurs et informaticiens ont développé des algorithmes capables, à partir de milliers d’exemples, d’apprendre à détecter et reconnaitre des anomalies – des lésions (pré)cancéreuses sur la peau ou dans le côlon, par exemple.
"Ces outils de machine learning s’entrainent sur davantage d’images et données que ne pourrait en voir ou en prendre connaissance un médecin tout au long de sa vie, explique la Pr Celine Vens, professeur d’informatique et de machine learning à la faculté de médecine de la KULeuven. Cette technologie est aussi de plus en plus performante dans le domaine de la prédiction des risques – cardiovasculaires, par exemple." Ce qui permet, le cas échéant, de proposer des mesures pour les diminuer, prévenir ou, à tout le moins retarder l’apparition de l’une ou l’autre maladie.
Le machine learning est considéré comme une forme d’intelligence artificielle, notamment parce que ces outils sont capables d’apprendre, de calculer des risques, voire de proposer des solutions à partir d’une grande quantité de données… comme le cerveau humain, en fait !
C’est tout l’intérêt de cette médecine dite prédictive, rendue techniquement possible par le machine learning ; elle ouvre la voie à une approche préventive – plutôt que curative – de la santé. Mais pas que ! Partout dans le monde, des programmes de recherche dans diverses spécialités médicales visent à développer des outils d’aide au diagnostic ou au choix thérapeutique.
Ce n’est plus de la science-fiction : ces programmes informatiques sont théoriquement capables de prédire la façon dont une personne réagira (ou pas) à un traitement donné. C’est déjà un peu le cas en oncologie les médecins proposent tel ou tel médicament en fonction des caractéristiques génétiques de certaines cellules cancéreuses. Si ces prédictions sont encore limitées par tout ce qu’il reste à découvrir sur une maladie aussi complexe et hétérogène que le cancer, nul doute que plus les connaissances progresseront, plus nous pourrons en "nourrir" les IA médicales.
Dans tous les domaines où l’intelligence artificielle se développe, se pose en filigrane la question de la place (future) de l’humain et de son possible remplacement par la machine. La médecine ne fait pas exception. Vu leurs performances et la vitesse vertigineuse à laquelle ces technologies se développent, nous pouvons sérieusement nous demander si, demain, nous serons suivis et soignés, non plus par un médecin, mais par une intelligence artificielle.
"Je ne crois pas, estime la Pr Vens. Le machine learning ne remplacera pas le médecin. Et pas seulement pour des raisons éthiques ou par pur humanisme. Il ne faut pas exagérer ni fantasmer les capacités de ces technologies. D’abord, la qualité du modèle ou de l’outil développé par l’IA dépend avant toute chose de l’ensemble de données à partir duquel son algorithme est formé. Certes, l’IA peut traiter davantage d’informations qu’un être humain ne pourra jamais le faire, en un temps record et sans jamais se fatiguer. Cela dit, si cet ensemble de données est biaisé ou partial, l’application d’IA le sera également."
Ensuite, il y a des informations auxquelles la machine n’a pas accès d’emblée alors que le médecin, oui : ce qu’il apprend ou découvre en interrogeant son ou sa patiente (ce qu’on appelle l’anamnèse) et en l’auscultant (l’examen clinique). En dermatologie, par exemple, une IA peut reconnaitre une lésion sur base d’une photo. En revanche, l’ordinateur ne peut pas la palper ni demander à la personne depuis combien de temps cette lésion est apparue, comment elle a évolué, si elle lui fait mal ou la gratte, si ses parents ou frères et sœurs en ont eu aussi, etc. Autant de questions qu’un dermatologue posera certainement !
Il faut également interpréter les résultats proposés par l’IA et/ou les remettre en contexte. La machine peut certes prédire un risque, mais ce ne sont jamais que des statistiques. Ainsi, en génétique, on sait que certains variants augmentent le risque de développer certaines maladies. Mais rien n’est jamais sûr à 100 %, ni dans un sens ni dans l’autre. "Et dans tout examen, il y a toujours de faux positifs et de faux négatifs, explique le Dr Quentin Mary, président de la Société scientifique de médecine générale (SSMG). Certes, l’IA pourra s’avérer un bon outil d’aide au diagnostic ou au choix thérapeutique, mais avec ses limites et sa marge potentielle d’erreur." C’est un peu comme Google Translate : la traduction proposée par le programme est rarement parfaite et nous devons souvent reformuler, voire corriger certains passages.
Pr Céline Vens
Autre difficulté à surmonter : l’implémentation effective de ces technologies dans la médecine de tous les jours. "Il y a une grosse différence entre les projets de recherche qui, certes, sont nombreux et prometteurs, et leur certification, explique la Pr Vens. Car c’est une chose de créer des algorithmes et d’utiliser du machine learning dans les conditions idéales et parfaitement calibrées de la recherche. C’en est une autre de confirmer les performances de l’IA dans la vie réelle, sur le terrain, à grande échelle, les faire valider par les autorités et les implémenter dans les systèmes existants ! "
Le Dr Mary approuve : " L’IA n’aura une véritable plus-value dans notre pratique que si on la rend compatible avec nos logiciels et les systèmes informatiques existants. Et si de tels outils devaient être implémentés dans le dossier médical généralisé (DMG) et/ou sur les plateformes d’échanges de données (Réseaux Santé), il faudra bien sûr le faire dans le respect de la vie privée, des droits du patient et de la protection de ses données médicales."
Les médecins doivent aussi se former à l’utilisation de ces nouvelles technologies. Si la KULeuven a pris le parti, depuis la rentrée académique de 2023, de proposer des cours d’IA et autres technologies informatiques aux étudiants et étudiantes en médecine, ce n’est pas (encore) le cas dans toutes les universités. "C’est pourtant essentiel, estime la Pr Vens. Il ne s’agit pas d’apprendre aux médecins à concevoir des algorithmes. Le but est plutôt qu’ils comprennent comment ces outils sont conçus et fonctionnent afin de savoir ce qu’ils peuvent en attendre ou pas. Pour paraphraser Jesse M. Erhenfeld, le président de l’Association américaine de médecine, les médecins ne disparaitront pas avec l’IA, mais à terme, les médecins qui l’utiliseront remplaceront ceux qui ne l’utiliseront pas…"
Pour finir, s’il y a un point sur lequel tout le monde semble s’accorder, c’est la nécessité de garder de l’humanité dans un domaine aussi sensible et émotionnel que la santé. Certes, il ne faut pas se raconter d’histoires : tous les médecins ne sont pas des pros de la communication ! D’aucuns peuvent manquer de tact et d’empathie. Et, bien souvent, le temps leur manque pour écouter et répondre à toutes les questions de leur patientèle. À cet égard, les applications conversationnelles de l’IA type ChatGPT pourraient contribuer à les informer de façon plus complète.
Mais il y a des limites à ce qu’elles peuvent nous dire, notamment sur le plan psychologique. En effet, qui serait prêt à recevoir un diagnostic de cancer de la part d’un ordinateur ? Lui confier nos problèmes à la maison ou au travail ? Lui faire part de nos questions, souhaits et craintes concernant notre fin de vie ? "L’IA est un outil de savoir, mais pas de savoir-faire et encore moins de savoir-être, rappelle le Dr Mary. Il ne faut pas non plus ignorer le rôle de plus en plus actif des patients et patientes, invitées à devenir partenaires de leur propre prise en charge et de leurs soins." Un partenariat qui implique nécessairement un dialogue avec le médecin. L’IA pourrait y avoir son mot à dire et contribuer à mieux nous soigner, mais il est peu probable qu’elle se substitue un jour aux compétences de l’un et aux désidératas et droits de l’autre.