Incapacité de travail
Pénibilité des horaires, fatigue due aux trajets, soucis de santé, manque d'écoute de la part des employeurs ou des collègues… Passé 55 ans, certains travailleurs sont confrontés à des difficultés qui les empêchent d'envisager sereinement leur fin de carrière. Pourtant, des solutions existent, comme le soulève une récente étude de la MC.
Publié le: 25 janvier 2023
Par: Julien Marteleur
9 min
Illustration: (c) Yasmine Gateau
Porter le taux d'emploi à 80% d'ici 2030, notamment en repoussant progressivement l'âge de la pension à 67 ans : c'est l'ambition affichée par le gouvernement De Croo. Pour atteindre cet objectif, les projecteurs sont braqués sur les personnes de plus de 55 ans. Un groupe qui affiche un taux d'emploi relativement faible par rapport à la moyenne européenne selon des données d'Eurostat (53,3% des Belges entre 55 et 64 ans étaient employés en 2020, contre 59,8% dans le reste de l'Europe). Toutefois, ce chiffre est nettement supérieur à celui de 2010 (37.3%) et témoigne une nette amélioration du taux d'emploi au sein de cette catégorie d'âge. Point noir au tableau, un autre chiffre : celui de l'incapacité de travail. En 2018, 43% des salariés du secteur privé en invalidité avaient plus de 55 ans… Serait-il de plus en plus difficile d'atteindre la pension en bonne santé ? A fortiori, avec une "ligne d'arrivée" professionnelle en passe de s'éloigner encore ?
Cette question épineuse, le Service études de la MC se l'est posée. Une équipe de chercheuses s'est penchée sur les vécus et les besoins des travailleurs en fin de carrière. Pour mener à bien cette étude, 41 salariés des secteurs privé et public ont été interrogés sur les difficultés rencontrées au travail avec l'âge et sur les aménagements pouvant aider à envisager plus sereinement cette fin de parcours professionnel. "On s'est très vite rendu compte que pour de nombreux répondants, travailler jusqu’à l’âge légal de la retraite dans les conditions actuelles, s’avère très difficile , relate Hélène Henry, co-auteure de l'étude. D'une manière générale, le travail use, mais aussi, les mentalités et les cultures d'entreprise ne sont plus les mêmes qu'avant : certaines personnes, selon leur profession, ont remarqué une augmentation de patients plus désagréables ou de clients plus agressifs, des restructurations de personnel, des ajustements technologiques ou des coupes budgétaires plus fréquentes…"
Depuis près de 30 ans, Christian prend le train de Namur à Bruxelles, où il travaille comme responsable clients dans une agence publicitaire. À 63 ans, il a, de son propre aveu, perdu "quelques heures de vol" durant ces trajets. "Les retards, les trains bondés, le bruit qui en découle… Tout cela est épuisant à la longue, déplore-t-il. Immobilisé par une importante fracture il y a quelques années, il s'est déjà essayé au télétravail. Un cadeau empoisonné pour Christian : "Le matériel que j'utilise au bureau est nécessaire pour mener ma tâche à bien. Je n'ai rien de tout ça à la maison ! Je me suis senti un peu démuni durant cette période, lâche-t-il. Et puis, je me rends compte que le travail que j'effectue aujourd'hui a radicalement changé avec les décennies. Les clients ne sont plus les mêmes, les procédures et le management non plus…"
Christian n'est pas un cas isolé : les changements organisationnels au sein de l'entreprise, qu'ils soient issus d'une restructuration ou d'un changement de management, peuvent perturber la vie professionnelle. Pour de nombreux participants à l'étude, ces bouleversements peuvent être un élément déclencheur de la perte de motivation au travail ou de la confiance en soi. La fatigue, la difficulté à récupérer, la baisse de certaines capacités (cognitives, sensorielles, musculaires) ainsi que l'apparition de petits bobos plus récurrents peuvent aussi parasiter le bien-être au travail. L'an dernier, une étude menée par Securex a démontré qu'environ 57% des personnes interrogées ne pensaient pas parvenir à travailler jusqu'à l'âge de 65 ans. La faute aussi, selon la MC, au rythme effréné et la nécessité de traiter rapidement une quantité croissante d'informations, selon l’étude MC. "Les gens doivent travailler de plus en plus longtemps, mais c’est malheureusement souvent au détriment de leur santé", souligne Hélène Henry.
Combiner travail et vie de famille : là aussi, des difficultés peuvent apparaitre. Certes, à l'aube de la soixantaine, les enfants ont peut-être quitté la maison. Mais certains travailleurs doivent combiner leurs horaires professionnels avec la prise en charge d'un parent âgé, ou sont encore sollicités pour s'occuper de leurs petits-enfants. "A contrario, certains participants (célibataires) nous disent rester au travail pour des raisons financières, ou parce qu'il s'agit là de leur seul point de contact social”, révèle la chercheuse. À 60 ans, Catherine est vendeuse dans un magasin de vêtements. Maman de trois enfants et divorcée peu après la quarantaine, elle a dû, jusqu'il y a peu, sacrifier sa vie de famille pour joindre les deux bouts. "La question d'un aménagement du temps de travail ne s'est même pas posée, explique-t-elle. J'ai dû accepter des horaires contraignants, travailler les weekends ou durant les vacances scolaires pour pouvoir m'en sortir. En tant que mère célibataire, je ne peux pas m'appuyer sur le salaire d'un conjoint. Aujourd'hui, mes enfants ont leur propre vie, mais ces horaires m'ont usée, j'espère avoir désormais assez d'énergie pour profiter pleinement de mes petits-enfants."
À l'heure actuelle, plusieurs aménagements sont offerts au travailleur en fin de carrière. Tout d'abord, le crédit-temps fin de carrière permet, généralement à partir de 55 ans, de réduire les prestations d'1/5e temps ou d'un mi-temps jusqu'à la prise de la pension, mais dans la plupart des cas, il n’est indemnisé par l’ONEM qu’à partir de 60 ans. De plus, ce crédit-temps semble parfois difficile à mettre en place. "Tout d'abord, parce que la charge de travail reste souvent la même que pour un travail à temps plein, précise Hélène Henry. La personne renonce à une partie de ses revenus, mais on attend d'elle le même rendement qu'avant. Cela crée une pression supplémentaire. Ensuite, selon la fonction (un poste de direction par exemple) ou la composition de l'équipe, un crédit-temps peut s’avérer plus difficile à implémenter."
Depuis 2012, la Convention collective de travail n°104, appelée "Plan pour l'emploi des travailleurs âgés" est imposée aux entreprises de plus de 20 travailleurs. Selon la CCT 104, celles-ci doivent rédiger un plan pour l'emploi afin d'augmenter ou de maintenir le nombre de travailleurs âgés de 45 ans et plus. Pour établir ce plan, l'employeur peut faire un choix parmi une liste de domaines d'actions : accès aux formations, aménagements ergonomiques, accompagnement de carrière, adaptation de la fonction, du temps ou des conditions de travail… Sur papier, cette convention a tout pour plaire. "Le problème, c'est qu'elle n'est pas suffisamment contraignante, regrette Hélène Henry. L’employeur choisit la ou les mesures qu’il souhaite mettre dans son plan, mais rien ne l’oblige à y mettre un contenu ambitieux. Or, pour être efficace, cette convention – trop peu connue des travailleurs - devrait imposer qu’un nombre suffisant de mesures favorables au bien-être en fin de carrière, soient automatiquement reprises dans le plan."
Pour les chercheuses de la MC, il est essentiel que le salarié puisse dialoguer avec son employeur, lui exprimer ses souhaits et ses besoins en fin de carrière, qu'il s'agisse d'une dégressivité du temps de travail pour mieux appréhender la "peur du vide" de la retraite, de l'instauration du télétravail pour limiter la contrainte des trajets, ou encore d'un aménagement des horaires ou d'un "écolage" permettant aux employés plus âgés de passer sereinement le flambeau aux nouveaux arrivants tout en se sentant valorisé.
"Notre recherche ne défend pas l'idée du travail à tout prix, concluent les chercheuses de la MC. Elle met l'accent sur les besoins des travailleurs et des travailleuses en fin de carrière et sur les aménagements qui peuvent positivement impacter leur qualité de vie. Pour la MC, la santé et le bien-être des personnes passent avant tout. Trop souvent, les travailleurs et personnes âgées sont discriminées en raison de leur âge, que ce soit dans le monde de l'entreprise mais aussi de la société en général. Un changement de mentalités doit s'opérer (…). Se préoccuper du bien-être de tous, tout au long de la carrière, dans une perspective respectueuse et solidaire, sera la meilleure façon de faire face aux défis des années à venir."
Se donner l’occasion de réorienter sa vie sans le travail, par d’autres formes d’engagements qui ont du sens et en discuter avec d’autres peut s’avérer utile lorsque l’on doute de l’avenir ou que l’on se retrouve seul pour affronter la retraite. Avec ses modules de formation "Bien dans ma retraite", Énéo, mouvement social des aînés de la MC, propose des pistes de réflexion pour donner un sens à ce moment charnière.
Dans la même logique de prendre le temps de préparer le passage de la vie de travailleur à la vie de retraité, les modules de préparation à la retraite peuvent apporter une aide précieuse pour voir clair sur la vie future qui se profile à ce moment charnière de l’existence. Cette année, Énéo propose un cycle de formation à la retraite pour les jeunes et futurs retraités. Au programme de celui-ci, plusieurs modules : un module "Ressources et finances" animé par le service social et pensions de la MC pour vous éclairer sur vos droits, proposer de partager des astuces et conseils budget ; deux modules "santé, mieux-être, psychologie et affectif" pour évoquer la santé dans sa globalité (activité physique, alimentation, des astuces budget santé, vie familiale, affective et sociale) ; et enfin, un module "temps retrouvé" qui ouvre la réflexion sur "nourrir" son temps pour être bien dans sa retraite.
>> Plus d'infos ici.
Hélène Henry, chercheuse MC
Hélène Henry, chercheuse MC