Plus le revenu est bas, plus la santé est mauvaise

Plus le revenu médian d’un quartier est bas et plus l’état de santé de ses habitants est mauvais, c’est le constat principal d’une étude à grande échelle de la Mutualité chrétienne, qui a étudié les données de ses 4,5 millions de membres répartis en 20.000 quartiers sur le territoire belge. Une analyse qui donne une vision fine du lien entre revenu et santé. « La santé des personnes se détériore considérablement à mesure que les revenus au sein d’un quartier diminuent », souligne Elisabeth Degryse, vice-présidente de la MC. « Les résultats de l’étude sont alarmants. »

L’accord de coalition fédéral contient – à juste titre – des objectifs ambitieux en matière d’inégalités de santé, notamment celui de réduire d’au moins 25 %, d’ici 2030, l’écart de santé entre les personnes ayant la plus grande et la plus petite espérance de vie en bonne santé. Mais comment estil possible de mesurer et contrôler la réalisation de cet objectif ? Cette nouvelle étude de la MC peut servir de référence pour formuler et évaluer des mesures politiques concrètes. Les résultats sont basés sur les données de tous les membres de la MC – près d’un Belge sur deux – et non sur des données autodéclarées, contrairement aux enquêtes dans lesquelles les répondants à faibles revenus sont souvent sous-représentés.

Méthode : inégalités de santé au niveau des quartiers

Afin de procéder à une analyse approfondie, les 20.000 quartiers (secteurs statistiques) de Belgique ont été répartis en dix catégories basées sur le revenu fiscal médian (données de Statbel, l’office statistique du gouvernement). Les 4,5 millions de membres de la MC sont classés, en fonction de leur adresse, dans l’une de ces dix catégories, de sorte qu’une distinction peut être faite entre les membres qui vivent dans des quartiers pauvres et ceux qui vivent dans des quartiers riches. Les chercheurs ont ensuite pu utiliser un certain nombre d’indicateurs de santé et d’utilisation des soins pour mesurer comment l’état de santé et le recours aux soins diffèrent selon le niveau de revenu de chacun des 20.000 quartiers.

Les résultats de l’étude montrent que les personnes vivant dans les quartiers pauvres sont 1,8 fois (80%) plus susceptibles de mourir dans l’année (toutes causes confondues) que celles vivant dans les quartiers les plus riches. Les personnes qui vivent dans des quartiers pauvres ont également un risque plus élevé de développer diverses maladies chroniques et ont donc un état de santé général moins bon. Par exemple, les résidents des quartiers les plus pauvres ont un risque accru de 51% de souffrir du diabète que les résidents des quartiers les plus riches. Ils sont également un risque accru de 59% d’être en incapacité de travail pendant au moins trente jours, ce qu’on appelle l’incapacité primaire. Le risque d’invalidité est, quant à lui, 2,5 fois (150%) plus élevé pour les personnes vivant dans les quartiers les plus vulnérables par rapport à celles qui vivent dans les quartiers les plus riches.

Les personnes aux revenus les plus faibles reportent davantage leurs soins et ont plus recours aux soins lourds

Les personnes vivant dans les quartiers les plus pauvres sont plus susceptibles de reporter les soins préventifs. Par exemple, elles ont un risque accru de 70% de n’avoir eu aucun contact avec un dentiste pendant trois années consécutives, par rapport à celles qui vivent dans les quartiers les plus riches. En revanche, lorsqu’il s’agit de soins hospitaliers, nous constatons que le recours augmente lorsque le revenu diminue. Les habitants des quartiers les plus pauvres ont ainsi un risque accru de 23% d’être admis dans un hôpital et de 39% de se retrouver aux urgences que les habitants des quartiers les plus riches. Cela indique que l’état de santé se dégrade progressivement avec la baisse des revenus, ce qui accroît le besoin de soins lourds.

De grandes différences dans les soins de santé mentale également : les personnes avec de faibles revenus vont davantage chez le psychiatre, les personnes avec les revenus plus élevés chez le psychologue

Alors que les personnes des quartiers les plus riches sont plus susceptibles d’aller chez le psychologue, les personnes qui vivent dans des quartiers pauvres ont davantage recours aux consultations avec un psychiatre, ces soins étant plus accessibles financièrement. Plus le quartier dans lequel on vit est pauvre, plus le risque d’utiliser des antidépresseurs (26% de plus que dans les quartiers les plus riches) ou des antipsychotiques (160% de plus) est élevé. De plus, le risque d’hospitalisation psychiatrique est 2,8 fois plus élevé dans les quartiers les plus pauvres que dans les plus riches. Le risque d’admission dans une initiative d’habitation protégée (IHP) est 14,7 fois plus élevé, et même jusqu’à 31 fois plus élevé si l’on regarde le risque d’admission dans une maison de soins psychiatriques (MSP) et ce principalement pour les personnes qui vivent dans les quartiers les plus pauvres.

« Nous constatons que les personnes économiquement vulnérables ont plus de difficultés à accéder aux soins de santé mentale », indiquent les chercheurs. « Nous savons que ce groupe est plus souvent confronté à des problèmes psychologiques. Il est important pour nous que les soins de santé mentale soient organisés de manière à ce que ces personnes aient plus facilement accès à l’aide appropriée », ajoute Elisabeth Degryse. La Mutualité chrétienne préconise également que le gouvernement fédéral mette en place une méthodologie pour lutter contre les inégalités de santé en proposant des objectifs de santé publique mesurables à atteindre (SMART) afin de mieux coordonner l’effort collectif dans tous les domaines politiques (Health in All Policies). « En tant que mutualité, nous souhaitons apporter toute notre aide à cette démarche », indique Elisabeth Degryse. « Notre organisation peut utiliser les résultats d’une telle étude pour améliorer la santé de nos membres ». De plus, il faut réfléchir à l’accessibilité financière des soins de santé, car même s'il existe des mesures pour améliorer l'accessibilité aux soins (statut BIM, maximum à facturer, statut maladie chronique, etc.), chacun doit payer en fonction de sa capacité. Il n'existe actuellement qu’une distinction qu’entre les personnes qui bénéficient ou non de l’intervention majorée (statut BIM). Cette catégorisation n’est pas conforme aux besoins réels de la population. « La politique de santé de notre pays devrait-elle être davantage liée aux revenus des patients, sachant que les besoins en matière de soins dépendent du niveau de revenu, avec plus d’étapes intermédiaires pour le remboursement et l’accompagnement ? Nous devons avoir ce débat avec cette étude en main. »

Enfin, la MC plaide pour une approche globale de la santé dans toutes les politiques en veillant avant tout à ce que chacun ait les moyens de satisfaire ses besoins fondamentaux (logement, nourriture, chauffage, soins de santé). Il est clair que la santé n’est pas un problème isolé : le revenu disponible, les conditions de travail, de logement, la qualité de l'environnement proche (en particulier, l’aménagement du territoire, les services qui y sont disponibles ou encore le niveau des pollutions), le réseau social, la capacité à financer des loisirs, sont autant de facteurs qui jouent un rôle sur l’état de santé. La santé doit donc être envisagée de manière très large et non réduite à un seul domaine de compétence. La question de l’impact sur la santé devrait être décisive dans toute politique publique et quel que soit le domaine de compétence.

Annexe

Avalosse H., Noirhomme C., Cès S., Inégaux face à la santé : Étude quantitative des inégalités économiques relatives à la santé et à l’utilisation des soins de santé par les membres de la MC, Santé & Société, 4, pp. 7-31.

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Manuel Di Pietrantonio, collaborateur presse MC, 0471 55 55 94